Sur la ferme Pradenn, il y a des vaches et des cochons, des champs de céréales, un potager, un four à pain. Et mille pommiers dont Goulven Maréchal chouchoute les fruits pour les transformer en de savoureux cidres et vinaigres d’exception.
Au cœur du Val d’Ille, il y a une ferme, au cœur de cette ferme il y a un verger, au cœur du verger il y a un pommier. De ce pommier on récolte les pommes. De ces pommes on presse le jus. De ce jus on produit un cidre. De ce cidre on fermente un vinaigre d’exception. Enfin « on », je veux dire Goulven Maréchal.
Tout comme le lecteur ou la lectrice que vous êtes a approché ce portrait de paysan, Goulven est arrivé à la ferme Pradenn par quelques méandres. Un voyage initiatique dans le monde agricole en quelques sortes. Une fois diplômé de l’institut Agro de Rennes, il poursuit sa formation sur le terrain en partant durant une année à la rencontre d’agricultrices et d’agriculteurs. Avec son complice Alexis – aujourd’hui producteur de plantes comestibles – il capte au plus près les paroles des paysans et paysannes pour en esquisser des portraits sonores diffusés à la radio. Cette aventure au cœur des fermes leur donne chaque fois l’occasion de partager, durant une semaine, le quotidien jour et nuit des personnes qu’ils rencontrent pour s’imprégner des réalités de la vie sur la ferme. « Tu vois plein de gens heureux, qui sont dans le concret, qui prennent soin de leur lieu » nous confie Goulven, des étoiles plein les yeux.
Être dans le concret, c’est cela qu’il veut lui aussi. Alors il se met au service des agricultrices et agriculteurs bio de Bretagne. Durant dix ans, il travaille pour la FRAB (fédération régionale des agrobiologistes de Bretagne) sur des projets de recherche et de commercialisation. Comme par exemple la structuration de la filière orge brassicole bio bretonne ou l’amélioration de la fertilité des sols en maraîchage biologique. Et puis vient le temps du retour à la terre. L’envie de fabriquer de ses mains un produit issu du terroir et qui en exprime toutes les singularités. Ce terroir, ce sera celui de Melesse où est implantée la ferme Pradenn sur laquelle son camarade de promo Julien Sauvée a grandi et élève avec son père Loïc des cochons et des vaches sous les pommiers.
Du hangar à la table étoilée
Les pommiers justement. Ils sont deux-cents en 2013, plantés par Loïc et Julien pour rétablir la place de l’arbre sur la ferme qui avait pâti d’un certain héritage des années soixante-dix. L’époque du remembrement et de la spécialisation de l’agriculture, il faut bien le reconnaître, a fait beaucoup de tort à l’agriculture paysanne, à l’environnement, à la biodiversité, aux paysages. « On a perdu des arbres qui mettent cent ans à pousser » se désole Goulven. Heureusement, il y a le verger conservatoire de la Bintinais qui conserve les greffons : les deux-cents pommiers replantés sont issus exclusivement de variétés historiquement présentes sur la ferme.
Deux-cents pommiers à exploiter, c’est l’occasion pour Goulven de commencer à se faire la main. En commençant à produire un cidre fermier très traditionnel, à base de pommes bio bien sûr, de bonnes levures indigènes évidemment et d’une forte dose de transmission orale d’un précieux savoir-faire par Loïc. Tout cela commence, comme dans tout conte de fée paysan, dans le hangar de la ferme, avec les moyens du bord et une envie furieuse d’expérimenter, à mille lieues de la production industrielle.
Exit le gaz carbonique ajouté, la prise de mousse est naturelle. Ici, on conçoit le cidre comme un vin, en assemblant plusieurs jus issus de différentes variétés de pommes. En recherchant ici la longueur en bouche, là des tanins souples et floraux. La formation d’ingénieur agronome, couplée à la volonté d’expression du terroir, permet à Goulven de poser ses bouteilles de cidre sur de belles tables étoilées d’Ille-et-Vilaine.
« Nous travaillons en prise de mousse naturelle, sans sulfites et uniquement avec les levures indigènes de nos pommes. C’est une prise de risque permanente, qui fait la richesse et la particularité de nos produits. »
À tel point que le moment arrive où le coin de hangar n’est plus suffisant. Cela tombe bien, le paysan voisin part en retraite et la salle de traite se transforme en cidrerie, offrant une nouvelle vie à ce bâtiment semi enterré et parfaitement sain, tout à fait adapté à la production de cidre. Et tant qu’à donner une nouvelle vie aux lieux, le hangar qui a connu les premières expériences cidricoles devient celui où est désormais créé le vinaigre de cidre. Celui-là même que connaissent peut-être les afficionados du rayon vrac de Scarabée.
Le secret d’un bon vinaigre
Savez-vous ce qui fait un bon vinaigre de cidre ? Vous l’imaginez sans doute, à la base de tout bon produit transformé, il y a de bons produits bruts. Pour le vinaigre de cidre de Goulven, il y a en l’occurrence un cidre 100 % naturel issu de pommes essentiellement récoltées à la main, en légère surmaturité.
« Un bon cidre fait un bon vinaigre. »
La particularité du vinaigre réside dans sa double fermentation : une première, la fermentation alcoolique, qui transforme le sucre du jus de pomme en alcool, puis la seconde, la fermentation acétique, qui transforme l’alcool en acide acétique. Si la première fermentation se fait cuve fermée, en absence d’oxygène, la seconde au contraire se produit avec de l’air et de la chaleur. À une température ambiante de 18 à 25 degrés en fonction de la saison, Goulven brasse son vinaigre régulièrement pour activer la fermentation. Résultat : un vinaigre vivant, ni filtré ni pasteurisé, riche en tanins aux vertus antioxydantes. Et comme le dit joliment notre paysan artisan, « on a besoin de manger des produits vivants pour être vivants. »
Choix des assemblages, temps de fermentation, quantité de levures indigènes, température, taux d’acidité… rien n’est laissé au hasard. Le petit laboratoire de Goulven lui permet de piloter d’une main de maître sa production. Avec aussi une part de surprise et un large éventail de créativité à la clé.
« Ce qui nous motive aussi c’est la prise de risque. L’expérimentation. On arrive à des surprises. »
Pradenn, la ferme aux mille pommiers
Si les pommes de la ferme Pradenn font de si bons produits, c’est bien grâce aux talents de Goulven. C’est aussi que ce sont vingt-cinq variétés de pommes du territoire qui sont bien là où elles poussent, juste ici, à Melesse. Si la chailleux par exemple est une variété très typique du territoire, résistante aux maladies et aussi bonne à croquer qu’à transformer en cidre, en vinaigre ou en compote, la monte-en-haut, douce-amère aux tanins très souples et floraux est un peu la star de la ferme. Comme son nom l’évoque, elle pousse sur des arbres de haute tige. Le point de greffe à 1m80 permet aux animaux de pâturer dessous (et de fertiliser le sol en passant). Un terrain, deux usages en simultané ! C’est ça aussi la sobriété… et l’agriculture coopérative.
Aujourd’hui sur la ferme, on compte mille arbres. Mille arbres qui font l’identité du lieu et auxquels toutes les personnes qui travaillent sur la ferme sont très attachées. Aussi parce que les arbres ont un rôle majeur, au-delà de produire des fruits. Ils abritent une faune riche et diversifiée, préservent la ressource en eau, la pompent et la restituent quand il fait sec, limitent l’érosion, façonnent le paysage, fournissent le bois pour le four à pain…
En matière de coopération, la ferme Pradenn fait figure d’exemple. Ici, on partage le matériel et certaines tâches. Tandis que Julien élève les cochons, Aulne, ancien restaurateur de haut vol en transforme une partie en charcuteries, Goulven prend soin des pommiers et fabrique cidre, vinaigre, jus de pomme et compote qu’il commercialise sous le joli nom Adrak, qui signifie « vrac » en breton, tiens tiens… Quant à Sibylle et Grégoire, ils ont rejoint l’aventure pour produire les légumes et le pain qui garnira les tables du restaurant rennais Pénates dont ils sont aux manettes.
« Adrak signifie « vrac » en breton : au départ, on voulait développer les grands contenants pour proposer des produits de qualité à prix abordable. Et puis ça sonne viking, ça colle avec l’ambiance bois et vaches à grandes cornes de la ferme. »
Mais l’aventure collective ne s’arrête pas là. La volonté de partager et transmettre a poussé l’équipe à ouvrir ses portes tous les vendredis après-midi à celles et ceux qui veulent découvrir la vie sur la ferme, les techniques de fabrication, les enjeux d’une production locale, biologique et sans traitement. Et un jour peut-être, chacun·e pourra même venir s’y restaurer… sous les pommiers !