Transformer les légumineuses en merveilles de saveurs et de couleurs pour contribuer à la transition alimentaire, c’est le pari réussi d’un petit atelier devenu grand. Rencontre avec l’équipe de L’atelier V*.
C’est l’histoire d’une charcuterie transformée en palais de la légumineuse. Une histoire fabuleuse que nous ont confiée trois de ses protagonistes : Xavier le capitaine, Charlotte l’aventurière et Matthieu le pragmatique. Cette histoire, nous sommes heureux de vous la raconter tant les produits concoctés par cette entreprise artisanale reflètent notre volonté d’aller vers une alimentation résiliente et positive. Elle a débuté il y a moins de dix ans. D’un grand dess(e)in. Le constat était sans appel : en mangeant comme l’on mange, on va droit dans le mur. La clé pour infléchir le modèle, elle, s’est peu à peu révélée : il se pourrait bien que la légumineuse ait sa partition à jouer dans la transition alimentaire.
Du développement durable à la transition alimentaire
À la barre de l’atelier V, il y a Xavier Le Louër. Armé d’une formation scientifique et après avoir travaillé dans le secteur de l’emballage à destination des entreprises de l’agroalimentaire, il met un pied, et même les deux, dans la restauration collective. C’est ici qu’il prend la mesure des enjeux de l’alimentation au regard de notre avenir commun. Nous sommes au milieu des années deux mille, le Grenelle de l’environnement bat son plein et l’on entend à chaque coin de conversation les mots « développement durable ». Xavier a alors pour mission d’élaborer une feuille de route intégrant les enjeux du développement durable à une activité de restauration collective pour le compte d’Ansamble, un acteur majeur du secteur passé depuis sous la houlette d’Elior.
Alors les questions arrivent naturellement : comment sont produits les aliments que je cuisine ? Où sont-ils cultivés ? Comment diminuer l’impact de mon activité sur l’environnement ? « Je me suis vite rendu compte qu’une assiette composée majoritairement de végétal n’a pas le même impact qu’une assiette composée majoritairement de protéine animale » confie Xavier. Et les légumineuses apparaissent rapidement comme une piste sérieuse pour végétaliser les assiettes. Si elles sont des alliées de poids, c’est qu’elles sont « intéressantes à tous points de vue dit notre capitaine : au niveau agronomique, au niveau nutritionnel et au niveau de leur impact sur l’environnement. Ce sont des graines vertueuses qui sont une vraie richesse en termes d’alimentation et qui mobilisent finalement très peu de ressources naturelles. »
Du cochon au pois chiche
C’est précisément dans ce contexte que se présente l’opportunité de reprendre l’atelier de charcuterie artisanale implanté à Vannes pour y créer un atelier d’un tout autre genre. Ce sera l’atelier V. Fort de son expertise et avide d’aventure nouvelle en accord avec ses convictions, Xavier Le Louër est prêt à se lancer. Il reprend l’atelier, personnel compris. Embarque dans l’aventure Charlotte Marsollier, la tête dans les étoiles de l’innovation et Matthieu Derrien, les pieds sur terre, ancré au développement technique. Et convertit en quelques mois un atelier de charcuterie en atelier de transformation végétale, passant du cochon au pois chiche et accompagnant la dizaine de charcutiers expérimentés à se transformer en experts du houmous.
Comme cette histoire n’est pas un conte de fée, il n’y a pas de baguette magique. Pour faire du houmous, il faut des légumineuses – pois chiches, lentilles, haricots… Or, en vérité, de légumineuses il n’y a quasiment point aux alentours de Vannes. Qu’à cela ne tienne, la petite équipe prend son bâton de pèlerin pour aller frapper à certaines portes. Celle de la Chambre d’agriculture de Bretagne permettra d’embarquer quelques producteurs aventureux dans l’histoire. À l’autre bout de la chaîne, celle de Biocoop amorcera la possibilité d’une distribution à des consommatrices et consommateurs conscient·es de notre super pouvoir de mangeurs, de celles et ceux qui savent que notre alimentation a son rôle à jouer dans l’avenir de la planète.
Des légumineuses dans les champs bretons
Côté culture, « nous avons amorcé un programme pour imaginer avec les agriculteurs les modalités pour remettre ces cultures dans les champs » explique Xavier. Un projet qui s’est étalé sur quatre ans avec tout un programme d’expérimentations au niveau cultural. « C’était très riche en enseignements. Nous avons compris que le temps agricole n’est pas le temps de notre activité de production. Il y a les saisons, il y a les cycles végétaux. Je sème au printemps mais je ne pourrai tirer de conclusions qu’au bout de six ou huit mois. Par rapport à notre temps à l’atelier V c’est « trop » long. » Conscients que chacun a sa place dans le cycle de la production alimentaire, Xavier et son équipe ont transmis le flambeau de la réimplantation des légumineuses dans les champs à l’association Leggo – pour LEgumineuses à Graines du Grand Ouest. Une association qui réunit producteurs, semenciers, acteurs de la transformation alimentaire et de la restauration et collectivités locales avec une ambition commune : soutenir le développement des légumineuses tant du point de vue agricole que du point de vue commercial. Côté approvisionnements, il a bien fallu se rendre à l’évidence, se contenter de la Bretagne ne sera pas suffisant à court terme, alors on pousse jusque dans le Berry, voire dans le Sud-Ouest.
Du houmous dans les assiettes
Côté assiette, il va falloir dépoussiérer la légumineuse, la « repimper » comme le dit joliment Charlotte Marsollier : « on voulait valoriser la légumineuse historique pour ce qu’elle est, sans pour autant reproduire les recettes ancestrales parfois poussiéreuses. » Alors on teste, on expérimente, on goûte… et on aime. Mais pas toujours. Alors on recommence, on essaie et on réessaie jusqu’à trouver la bonne recette, l’équilibre subtil entre légumineuses, légumes, épices et aromates, la bonne texture, la bonne couleur, la bonne saveur. Chaque légumineuse a ses propriétés sensorielles. « C’est un vrai apprentissage, c’est du temps long, on ajuste en permanence nos barèmes de cuisson pour obtenir le résultat que l’on souhaite » poursuit Xavier.
« Aboutir ensemble à une recette qui plaise à toute l’équipe, c’est cela notre boussole. »
À l’atelier V, chacune et chacun a son mot à dire. Les recettes sont élaborées et dégustées collectivement. Que l’on soit cuisinier, cuisinière, comptable ou patron, on peut prendre part à la dégustation hebdomadaire. À l’oreille attentive de Louise qui formulera la recette, chacun·e partage son ressenti sur la saveur, la couleur, la texture et ce qui emmène en voyage au Liban, à Bangkok ou sur le port de Vannes. À partir d’une grille de lecture organoleptique, la recette est ainsi élaborée en cuisine « classique » avant de partir en production à plus grande échelle.
À chaque recette sa spécificité. On ne travaillera pas de la même manière le pois chiche et le haricot. De même qu’on ne travaillera pas de la même manière le pois chiche pour le houmous et le pois chiche pour le falafel. « C’est de la vraie cuisine en fait, explique Matthieu en précisant : on va travailler avec un certain pourcentage de pois chiches cuits et puis un certain pourcentage de pois chiches crus et puis peut-être un pois chiche qui a été moins cuit que d’habitude pour pouvoir obtenir la bonne texture. Et ça c’est un vrai boulot. » Un vrai boulot qui permet d’inventer. Le tarama végétal en fumant les haricots, une première ! Le guacamole sans avocat, mais avec petits pois français, une alternative crédible et bien plus écologique. Et bientôt une gamme tout à fait étonnante dont nous ne dirons rien, hormis qu’elle promet encore de savoureuses surprises.
Ici l’on cuisine
Si l’atelier V a commencé par revisiter le plus classique des houmous de pois chiche, la gamme s’étoffe constamment. Et surtout évolue avec les saisons. Alors forcément, un houmous de lentilles jaunes et butternut ne sera pas le même en début et en fin de saison. Et lorsqu’il n’est plus si savoureux, c’est qu’il est temps de passer à la recette de la saison suivante. Car ici, nulle béquille. « Pas de poudre de perlimpinpin » comme le dit Matthieu, le super technicien de la troupe. On ne tolère aucun additif. « Pas d’acidifiants, pas de texturants, pas de traitements, pas de chimie alimentaire, pas de protéine d’œuf. On ne travaille qu’avec des ingrédients simples » résume-t-il. Une petite prouesse quand on sait que sur le marché du végétal, 73 % des produits en rayon sont ultra-transformés.
Que des ingrédients simples donc. C’est-à-dire, ceux qui sont au plus proche de la nature, tout simplement ! Alors dans les cuisines de l’atelier V, on trouve des pois chiches et des lentilles jaunes, des lentilles corail et des haricots, des épices dont les mélanges sont élaborés sur place, de l’huile comme à la maison mais en bidon un peu plus gros, de la purée de sésame et de noix de cajou, des légumes frais, locaux et de saison. C’est simple finalement.
« Ici nous réalisons tout de A à Z. Les légumineuses sèches arrivent directement du producteur »
Simple, mais format XXL. « Le véritable talent c’est de réussir à retranscrire notre grande passion pour la cuisine dans l’usine » m’a confié Charlotte. Alors je suis allée visiter « l’usine ». Car si l’atelier V a débuté dans un labo artisanal avec des sacs de vingt-cinq kilos de lentilles, aujourd’hui il a triplé de surface et les légumineuses arrivent par big bags d’une tonne ! Côté machines aussi, c’est idem qu’à la maison, en beaucoup plus grand. Le mixeur – qu’on appelle ici une cutter – accueille des productions de trois-cents voire quatre-cents kilos. Le frigo est plutôt une chambre froide de 300 mètres carrés qui accueille les légumes secs en train de tremper aussi bien que les ingrédients cuits prêts à être mélangés.
Alors forcément, avec quatre-cents kilos de houmous, on ne remplit pas les pots à la main, ça, c’est le rôle de la doseuse ; on ne les opercule ni ne les étiquette pas non plus à la main, quoi que cela fut le cas les premières années. Aujourd’hui, avec douze tonnes de légumineuses qui rentrent chaque mois dans l’atelier pour se faire cuisiner et régaler les gourmets des quatre coins de la France, tout le monde est bien content d’avoir une étiqueteuse automatique.
La clé d’un houmous qui flatte les papilles
Et puis il y a la machine, LA machine qui permet de conserver la fraîcheur d’un produit tout juste sorti du blender. De conserver les propriétés nutritionnelles, les propriétés organoleptiques et le goût unique de chaque recette sans jamais rien ajouter de bizarre à l’intérieur. Cela tout en garantissant une durée de conservation approchant un mois. Autant dire une prouesse !
Ici zéro stérilisation (qui détruit au passage tous les microorganismes, y compris les vitamines et les minéraux) mais une conservation grâce une technologie de haute pression à froid. Le principe : faire passer les pots dans un sas rempli d’eau froide auquel on ajoute encore 30 % d’eau supplémentaire. Ainsi le produit est tellement sous pression que la paroi cellulaire des bactéries est endommagée, rendues ainsi inopérantes et incapables de se développer. Alors oui, les pots de l’atelier V sont encore en plastique (recyclé à au moins 50 %), sans quoi cette technique de conservation ultra fraîche ne serait pas possible. Sans renoncer à améliorer la qualité écologique de ses contenants que l’équipe juge elle-même imparfaits, l’atelier V a choisi de privilégier d’abord la qualité des produits à celle des petits pots. C’est aujourd’hui la seule ombre au tableau. Mais vu l’énergie et la conviction que l’équipe a su mettre pour inventer en quelques années un modèle inédit qui sublime les légumineuses du champ à l’assiette, nous sommes sûrs que ce n’est qu’une épreuve supplémentaire à surmonter, tout comme elle a su surmonter les précédentes.
Bientôt l’atelier V fêtera ses dix ans. Belle aventure que nous espérons bien voir se poursuivre quelques décennies encore !