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Voyage en Terre Bio : Hervé Delestre, paysan-arboriculteur, Les Rubis du Verger, à Bruz

Hervé Delestre arboriculteur bio dans son verger

Depuis 10 ans, la ferme fruitière « Les Rubis du Verger » à Bruz, alimente les étals des magasins Biocoop Scarabée en pommes, poires, kiwis, fruits rouges, fraises, rhubarbe et melons. Hervé Delestre, paysan-arboriculteur, a aujourd’hui choisi de réorienter ses cultures en concentrant son activité sur les arbres fruitiers, sa véritable passion.

Depuis quand êtes-vous installé à Bruz, sur cette ferme fruitière « Les Rubis du Verger » ?

Mon installation à Bruz, à La Massue, date de 2011. Avec trois autres agriculteurs bio, nous nous sommes répartis équitablement les 25 hectares de ce qui n’était alors qu’une friche, envahie par les ronces. Depuis lors, je travaille six hectares, pour qu’ils produisent, de fin août à fin mars, une grande diversité de fruits frais, issus essentiellement d’arbres fruitiers (pommes, poires, kiwis, noix, fruits rouges) et dans une moindre mesure, de cultures annuelles (fraises, rhubarbes et melons). Actuellement, nous nous engageons dans un nouveau projet, celui de passer 100 % de la production en culture pérenne. Pour ne faire que de l’arboriculture fruitière. Plus les années passent, plus notre verger grandit, s’étoffe et demande des soins et de l’attention.

Comment passe-t-on d’un emploi d’ingénieur en mécanique à celui de paysan-arboriculteur ?

C’est vrai que je ne suis pas né dans un verger, loin de là ! Mon diplôme d’ingénieur en poche, j’ai travaillé plusieurs années chez l’opérateur Orange, à Cesson-Sévigné. Suite à un départ négocié dans de bonnes conditions, j’ai pris le temps de me poser certaines bonnes questions sur mon avenir professionnel. Petit, je voulais être cuisinier. Adulte, j’ai toujours aimé cuisiner les fruits. De là est né une première idée, celle de me lancer dans la pâtisserie bio, en composant des desserts à base de fruits. Peu à peu, grâce à Initiative Bio Bretagne (IBB), j’ai rencontré des arboriculteurs passionnés, qui m’ont accueilli avec bienveillance. Je pense, entre autres, au Gaec « Les fruits des bois », installé dans les Côtes d’Armor. En Bretagne, l’arboriculture fruitière est peu développée mais du coup, les acteurs se connaissent tous et s’entraident largement. Finalement en 2009, j’ai participé à un groupe de projets imaginé par le Civam (Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural) et ça m’a décidé à me lancer, non plus en tant que pâtissier mais plutôt en qualité de paysan-arboriculteur ! L’arboriculture a quelque chose de fascinant ; le résultat de nos efforts ne s’observe que plusieurs années après. C’est le cas lorsqu’on taille un pommier. C’est un métier de patience, de rigueur et de technicité.

Quel rapport entretenez-vous avec vos produits ? Avec votre verger en particulier ?

J’ai toujours adoré manger et cuisiner les fruits, sous toutes leurs formes. Depuis mon installation, ce qui m’intéresse, c’est de produire des fruits avec les meilleures qualités organoleptiques possibles, que ce soit au niveau du goût, de leur texture, de leur odeur… Grâce au travail entamé en agriculture bio il y a 10 ans, on améliore d’année en année la qualité de nos sols et leur fertilité et on agit directement sur les qualités organoleptiques, voir nutritionnelles des fruits ! Le goût d’un fruit bio, d’une fraise bio de pleine terre est incomparable. J’ai toujours envie de dire aux clients : savourez les fruits frais, apprenez à les cuisiner, les sublimer. Manger, ce n’est pas se nourrir, c’est cultiver sa santé.

Comment choisissez-vous les variétés cultivées, selon quels critères ?

En ce qui concerne la pomme, j’en cultive une quinzaine de variétés. Ce qui me permet de proposer, de septembre à mars-avril, 4 à 5 variétés chaque mois. C’est important d’offrir cette diversité de goûts. Mon travail s’apparente presque à celui d’un vigneron, qui propose différentes cuvés issues d’un même cépage. Pour cultiver cette diversité, j’ai cherché à réintroduire des variétés de pommes anciennes, tombées en désuétude. J’ai fait de nombreux essais mais la plupart du temps, en les faisant goûter aux clients, ça n’a pas été concluant. Nos palais et nos critères de sélection actuels ne correspondent plus à ces pommes anciennes, qui possèdent souvent plus d’amertume, une mâche différente, une peau granuleuse. Désormais, le client veut de la pomme sucrée, ultra croquante, ronde et bien lisse. Mais je n’ai pas capitulé, je continue à cultiver, pour un marché de niche, certaines variétés un peu plus anciennes, comme la pomme Canada, la Chailleux, la Sainte-Germaine ou encore la Patte de Loup.

Vous vous définissez comme paysan-fruitier, qu’est-ce que cela signifie ?

Cela renvoie à la vision de l’agriculture paysanne que je défends. Être paysan fruitier, c’est avoir une exploitation à taille humaine, diversifiée dans ses productions. C’est travailler en local pour des clients situés à proximité et c’est aussi, agir pour protéger la terre et l’environnement.

Quels sont les circuits de vente que vous avez choisi de développer ?

Depuis le début, nous vendons en local. Nous travaillons pour nos voisins ! On pratique la vente à la ferme, en direct, nous vendons nos produits dans quelques Amap et auprès de deux restaurateurs bruzois. Enfin, nous sommes partenaires de magasins bio, notamment Biocoop Scarabée. Avec eux, nous avons un engagement mutuel, un rapport authentique et des prix maintenus, qui ne sont pas forcément indexés sur les cours mondiaux. On sait pour qui on travaille. Le travail de planification qui est réalisé est formidable.

La pomme est l’un des fruits les plus traités en agriculture conventionnelle. Le travail d’un arboriculteur bio peut-il se passer de l’utilisation de produits de traitement ?

L’arboriculture bio ne peut pas se passer de ces produits, bien qu’ils soient certifiés AB et que l’on prend soin de les appliquer en préventif, jamais en curatif. Mais contrairement à la culture maraichère, où les plants peuvent être plantés dans différents endroits chaque année, en arboriculture un arbre reste sur le même terrain pour des dizaines d’années. Il est donc plus susceptible d’être attaqué. À chaque stade de croissance, l’arbre fruitier fait face à son lot de ravageurs… certains d’entre eux apprécient le bouton floral, d’autres les jeunes feuilles, d’autres encore le fruit. Pour réduire l’utilisation de traitements, j’ai choisi de travailler mon exploitation en biodynamie, ce qui permet de soutenir le processus naturel de la terre.

Concrètement, comment appliquez-vous les principes de la biodynamie ?

Je peux citer quelques exemples. Deux à trois fois par an, nous épandons dans nos champs une préparation appelée bouse de corne « 500 ». C’est de la bouse de vache, introduite dans des cornes de vaches, que nous enterrons dans le sol durant la période hivernale, et qui reste en terre jusqu’à Pâques. Cette mixture, une fois dynamisée (brassé dans l’eau pendant une heure), va permettre de nourrir et favoriser l’activité microbienne du sol. Aussi, nous cultivons certaines espèces de fleurs, qui permettent de réaliser des infusions, que nous pulvérisons ensuite sur les arbres, en préventif. C’est la pharmacopée du verger ! Par exemple, nous utilisons les fleurs de valériane pour lutter contre le gel tardif. En cas de gel, cette préparation va aider le bourgeon à capter et à restituer de la chaleur. Lorsque des épisodes de grêles surviennent, on va pulvériser sur les arbres une infusion de calendula, qui va activer la cicatrisation et agir comme un baume apaisant. On soigne les arbres par les plantes.

Cet été, divers partis du monde ont subi des épisodes de canicules, entrainant souvent de terribles incendies. À l’échelle d’une ferme bretonne, pouvez-vous observer des manifestations du changement climatique ?

C’est clairement le défi des années à venir. Ce qui est inquiétant, c’est la variabilité saisonnière à laquelle nous assistons. Lorsque j’ai débuté mon activité, la logique était d’avoir une année de trésorerie d’avance, pour se prémunir d’éventuels aléas climatiques qui intervenaient en moyenne une fois tous les dix ans. Sauf que sur les six dernières années, nous en sommes à notre troisième gelée tardive, succédant à des printemps doux. Cette année, nous avons des gelées jusqu’au 1er mai ; autant dire que les fleurs des poiriers, n’ont pas survécus. Quant au réchauffement climatique, on a déjà commencé à déraciner des variétés de pommiers, originaires du Nord de la France, qui ne supportaient plus les « chaleurs » bretonnes. Ce qui nous inquiète, c’est d’observer nos voisins ; en Allemagne ou en Belgique, les récente inondations ont provoqué des glissements de terrain monstrueux. Difficile à imaginer ici mais pourtant, il faut se rendre à l’évidence, cela pourrait aussi nous arriver.

Photos et entretien réalisés par Céline Cadiou, journaliste indépendante. Co-rédaction des questions Isabelle Uguen-Gaignon, rédactrice à Biocoop Scarabée.