- Entretien paru dans La Feuille • Septembre 2019
L’Attelier fabrique des chocolats bio-équitables, depuis la fève jusqu’aux tablettes. D’abord basée à Guérande, l’équipe a emménagé à l’été 2019 dans un nouveau lieu, à St-Nazaire, baptisé La Chocolatterie. Rencontre avec Laurent Kerdoncuff, passionné de cacao, créateur de l’Attelier.
L’Attelier
16 Rue Vincent Auriol
44600 Saint-Nazaire
D’OÙ VIENT, DANS TON PARCOURS, CETTE ENVIE DE TRAVAILLER LE CHOCOLAT, ET EN BIO ?
J’étais déjà, tout petit, passionné de chocolat ; je baignais aussi dans la culture bio, avec un père éleveur dans les Monts d’Arrée, dans les années 70. Et un grand-père qui était paysan-boulanger. Voilà pour les racines… Après une formation d’ingénieur, j’ai été directeur des achats pour plusieurs grands groupes. Et à 40 ans, j’en ai eu ras-le-bol. J’ai découvert le monde de l’hydro-électricité ; j’ai monté un cabinet conseil, qui accompagnait des projets liés à l’écologie. Puis j’ai fait du conseil et de la formation dans la construction de filières de matières premières, plus précisément de fruits à coque biologiques. Avec un gros travail de « sourcing », au Brésil, entre autres. Les enjeux sont gigantesques, ils se calculent en centaine de millions d’euros… J’ai découvert un marché que j’aimais, celui des fruits à coque bio, et développé une spécialité dans ce domaine. Je me suis dit que c’était dommage que personne en France n’apporte de valeur ajoutée au produit. Puis j’ai fait un burn-out ; j’ai tout arrêté. Je voulais faire un truc qui a du sens.
En 2012, je reconnecte des potes de chez Lenôtre, rencontrés lorsque je travaillais comme responsable d’achats pour le groupe Accor. Je commence à me construire une boîte à outils. Avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure de Pâtisserie, à Yssingeaux, à 48 ans. Pendant la formation, j’ai inventé un produit : les fruits à coque caramélisés à la fleur de sel ; basé à Clisson, je bosse sur le projet pendant toute l’année 2013. Des amis me conseillent d’aller rencontrer « Le Bon Marché » pour présenter mes produits. Le pot n’est pas à la bonne taille, l’étiquette est minable… Mais lorsqu’ils goûtent, ils me disent : « Ça, c’est topissime ! ». Ils m’ont gardé une demi-journée, m’ont aidé à travailler sur l’étiquetage et l’emballage.
À ce stade je travaille en bio, et des fruits à coque. Et j’ai déjà une petite idée autour du chocolat. J’ai rencontré les acteurs dans ce domaine, pendant un an et demi, testé les différents chocolats disponibles. Pour le cacao comme d’autre matières agricoles, bio, pour moi, ce n’était pas assez. Magalie, la patronne de Nature et Aliments (1), m’a invité à rejoindre le réseau Bio Partenaire (2). Ils m’ont accueilli à bras ouverts.Je voulais créer des tablettes de chocolat, une dizaine de références ; mais surtout des produits différents, des spécialités bretonnantes, ce que j’ai fait avec les Gwenrann et les palets bretons (3). En utilisant des couvertures de chocolat (4) choisies. D’abord installé à Clisson, l’Attelier a emménagé à Guérande en janvier 2015. Les premières tablettes ont été commercialisées en avril 2016. On a commencé à travailler avec Finisterra, La Gambille, et surtout Scarabée, où on a été accueilli à bras ouverts, en tant que fournisseur local.
Lorsqu’on regarde les rayons chocolat dans un magasin Biocoop, même s’il y a beaucoup de références avec plein de choses différentes dessus, les gens mangent le même chocolat, fabriqué par les 3-4 mêmes usines. De notre côté nous avons fait le choix de mettre en avant le chocolat noir, et l’origine du cacao. C’est pour cela que nous nous sommes lancés dans l’aventure de fabriquer notre chocolat depuis la fève de cacao. Nous n’avons pas le droit de proposer un chocolat entre 4 et 5 euros la tablette qui ne soit pas différent d’un chocolat semi-industriel. On a donc décidé de commercialiser des produits différents, avec au minimum 70% de cacao. Pour chacun de nos produits, le pourcentage correspond à l’équilibre entre les caractéristiques de la fève de cacao et le sucre que l’on utilise, canne ou fleur de coco. Par contre : on n’est pas là non plus pour faire un fort pourcentage qui ne soit pas mangeable ! Au-dessus de 75% : c’est raide… alors nous utilisons le sucre de fleur de coco pour nos tablettes 76%, 77% et 88%. Il y a aussi une des exceptions, que j’ai goûtée : un 100% sur fève d’Ouganda, qui est une vraie douceur. Mais c’est lié à la fève. En septembre, on va sortir le Sao Tomé, à 73% et sans doute un pourcentage équilibré sur sucre de fleur de coco… surprise ! Sao Tomé est une île au large du Nigeria, littéralement « l’Ile chocolat ». Nos chocolats, à partir de l’étape du tri des fèves, représentent 2 à 3 jours de travail. Là où un industriel va mettre quelques heures.
PEUX-TU NOUS PARLER DES FILIÈRES ÉQUITABLES AVEC LESQUELLES VOUS TRAVAILLEZ ?
Au sein des filières équitables, il y a 4 « acteurs » ; le producteur, ici, le planteur ; la coopérative, ou groupement de producteurs, qui s’occupe parfois de la fermentation des fèves et du séchage ; le partenaire équitable qui finance, accompagne, met en place les programmes ; et les acheteurs qui achètent au partenaire équitable. Nous transformons des fèves de filières labellisées Bio Partenaire ou SPP (Symbole des Petits Producteurs). Le label SPP indique que ce sont les producteurs eux-mêmes qui sont à la fois producteurs, représentants de la coopérative, et partenaires équitables ; ils gèrent et structurent ces trois étapes eux-mêmes, fixent les prix et les primes. De notre côté, nous sommes « partenaire équitable » avec une coopérative en Ouganda et nous sommes acheteur pour les autres filières. Pour notre origine Madagascar, les fèves viennent de la région de Sambirano, un paradis écologique. On considère que les meilleurs cacaos viennent de Madagascar, après le Venezuela, où la filière est aujourd’hui complexe Pour l’Équateur : on travaille avec une filière Bio Partenaire équitable qui existe depuis 20 ans. Ce sont des fèves spécifiques, que l’on nomme « nacional », une variété de Forastero, que l’on trouve à la limite de l’Équateur et du Pérou. On se débrouille pour travailler avec les mêmes planteurs, car les fèves ont des notes d’agrumes.Pour le Pérou nous travaillons désormais des fèves Criollo provenant de deux régions différentes, une labellisée Bio Partenaire l’autre labellisée SPP. Le sucre de canne, qui vient d’Uruguay et le sucre de fleur de coco, qui vient d’Indonésie, sont tous les deux des filières labellisées Bio Partenaire.
QUELLE EST LA PARTICULARITÉ DE CE SUCRE DE FLEUR DE COCO ?
On propose actuellement 3 références de chocolat sucrées au sucre de fleur de coco, bientôt 5. À notre connaissance, nous sommes les seuls à le faire en France et sans doute au-delà. Il est labellisé par l’Unesco comme le sucre le plus écologique du monde, non destructif. Il a moins de pouvoir sucrant mais représente un avantage santé non négligeable puisque son indice glycémique est le tiers du sucre de canne. Il a un goût particulier, qui vient s’associer avec chaque fève de cacao de manière différente ; mais aussi avec chaque pourcentage de manière différente : sur un Équateur, selon qu’il soit à 75 % sucre de canne ou 77 % sucre de fleur de coco, les arômes des deux tablettes sont très différents. Il en est de même avec notre Madagascar. Nos chocolats sur sucre de fleur de coco sont une priorité de développement pour nous.
VOUS ÊTES ATTENTIFS AUX EMBALLAGES, ÉGALEMENT ?
Pour les tablettes, on passe en 2020 en Natureflex®, un « plastique » à base de cellulose de bois (ndlr : elles sont actuellement dans un mono-emballage papier/ polyéthylène (PE) pour limiter l’emballage) ; les autres produits sont conditionnés dans un pot en verre recyclé, réutilisable, ou recyclable. 85% du verre est collecté, en France ; c’est la filière de recyclage la plus structurée. En comparaison, 23% seulement du plastique est recyclable, et seulement 10% est recyclé. Le pot en verre est le même pour tous nos produits. Il coûte moins cher, permet de voir le produit, et le protège, car il est sous-vide. Il y a zéro transfert de matière indésirable. Le Cacao T (voir plus loin) sera conditionné dans une boîte en métal, il n’y a pas plus recyclable que ça, fabriquée par une entreprise française.
COMMENT SOUHAITEZ-VOUS VOUS DÉVELOPPER ?
On veut garder un tiers de notre marché natif, avec les magasins Biocoop de l’ouest, quelques caves à vins qui nous ont convaincus de proposer des chocolats « Origine ». Un tiers de notre activité à travers la Chocolatterie à Saint-Nazaire, où on fait de la vente directe, où on peut expliquer notre travail. Et un tiers à l’export, avec quelques clients en Angleterre, au Japon, et en Allemagne. On fait une exception : la Grande Épicerie, à Paris. Notre activité est viable depuis un an. Créer un atelier de fabrication de la fève au chocolat est un investissement énorme, une folie entrepreneuriale : je n’ai pas créé l’Attelier pour devenir riche… Nous sommes 6 à travailler au sein de l’équipe actuellement. La limite pour moi : c’est que les gens viennent au boulot avec le sourire. L’équipe n’ira pas au-delà d’une dizaine de personnes. L’idée est de pouvoir devenir propriétaire du local, pour le moment mis à disposition par la mairie de Saint-Nazaire. On ne restera pas sur Guérande, à terme.
VOUS LANCEZ ÉGALEMENT UN NOUVEAU PRODUIT, LE CACAO T®?
C’est l’autre produit « santé » et bon qu’on lance, avec les chocolats sucrés au sucre de fleur de coco. C’est une infusion d’écorce et de grué (6) de cacao. C’est une petite bombe nutritive, entre autres en polyphénols, on est en train de finaliser des ana-lyses pour le quantifier. On n’invente rien : les Aztèques et les Incas le consommaient bien avant nous… Au Pérou, au Mexique, il est très courant d’utiliser l’écorce infusée ; dans de l’eau, ou du lait, sucré au miel pour adoucir. On s’est dit : pourquoi on ne le ferait pas ? Au labo, on a testé cette infusion. Il faut cependant qu’il y ait suffisamment de grué avec l’écorce, pour l’arôme. Jusqu’ici, on utilisait l’écorce pour faire du paillis… On la valorise désormais avec le Cacao T®. On a juste une crainte : c’est de ne pas en avoir assez, la diffusion sera restreinte ; à Rennes, il y aura juste Scarabée qui le proposera. Avec 3 références : Ouganda, Equateur, et Madagascar.
(1) Magalie Jost, co-directrice de Nature et Aliments, un des fournisseurs de Biocoop, basé à Rezé, qui propose ses produits sous la marque Nat Ali.
(2) Association équitable & bio française : www.biopartenaire.com. L’Attelier est adhérent à Bio Partenaire.
(3) Gwenrann : disques de chocolat à la fleur de sel de Guérande. Palets bretons : palets de chocolat noir associés avec une graine : lin, sésame blond, fenouil sau-vage, blé noir breton.
(4) Chocolat de couverture, le chocolat en vrac fabriqué par des semi-industriels et utilisés par les chocolatiers et les pâtissiers pour fabriquer les tablettes et autres produits à base de chocolat.
(5) Flocert : organisme certificateur en commerce équitable ; www.flocert.net/fr/
(6) Grué : éclat de fève de cacao torréfié puis concassé.
Zoom sur l'Attelier et le commerce équitable
L’Attelier fabrique des chocolats et des noix de cajoux bio-équitables, notamment disponibles en vrac à Scarabée. Basé à St-Nazaire, l’engagement de Laurent Kerdoncuff, créateur de l’Attelier, dépasse nos frontières pour prendre ses racines au Togo et au Burkina Faso où il soutient le développement de filières bio et équitables pour ses matières premières.
Au Togo, travailler au développement de la filière de cacao bio et des plantations naturelles
« Je travaille depuis 2017 avec la coopérative Kekeli dans la région de Kpalime au Togo. Parmi mes actions, j’accompagne la coopérative dans l’amélioration du processus de fermentation et le tri des fèves au cours du séchage. Ces méthodes requièrent un travail supplémentaire, pour lequel une prime supplémentaire a été mise en place, dans la lignée de notre engagement équitable.
Je me déplace sur place environ une fois par an, et à chaque fois, je rencontre les planteurs de la coopérative pour soutenir les efforts de formation à la « bonne » culture du cacao (la bio !) et je participe à des « assemblées » de villages pour expliquer les bienfaits de l’agriculture biologique et soutenir les efforts de conversion et de maintien d’une agriculture naturelle (aussi appelée agroforesterie). Ces moments d’échanges privilégiés sont clefs pour soutenir et développer sur place une agriculture engagée, vivrière et équitable. »
Au Burkina Faso, soutenir les bonnes conditions de travail et l’agriculture bio
« Au Burkina Faso, dans la région de Bobo Dioulasso, nous travaillons avec des coopératives locales, pour deux étapes de notre production : la culture et la récolte. Les coopératives avec qui nous travaillons regroupent le plus souvent des membres d’un même village. La transformation est ensuite réalisée dans un atelier indépendant mais impliqué dans la démarche d’agriculture biologique et de commerce juste. En effet, les coopératives de village ne peuvent pas opérer la transformation des noix de cajou car les investissements pour transformer correctement, dans de bonnes conditions sanitaires et de travail, ne sont pas à leur portée.
Nos engagements auprès de ces acteurs locaux prennent plusieurs formes : au-delà du programme équitable certifié qui nous engage en termes de volume et de qualité de production, tant auprès des coopératives que de l’atelier, je m’assure du respect des bonnes pratiques au sein de l’atelier de transformation. Par exemple, nous soutenons l’utilisation de l’huile de ricin pour la protection des mains des travailleurs. D’ici un an je pense, l’étape de décorticage de l’amande de cajou sera d’ailleurs mécanisée.
Au niveau de la culture et des récoltes, nous avons mis en place avec une coopérative locale un programme avec pour améliorer les méthodes de récolte, sur la base des pratiques utilisées au Brésil, pays d’origine de la noix de cajou. Les progrès de cette coopérative font petit à petit des émules !
La monoculture et le réchauffement climatique appauvrissant la terre, on sait qu’à ce rythme dans 20 ans, il n’y aura plus d’Anacarde ou de Manguier… A nos yeux, la seule solution pour renouveler les cultures, c’est la polyculture. Mais il faut d’abord démontrer que ça fonctionne ! C’est la raison pour laquelle, en mars 2023, nous nous impliquerons dans un programme multipartite pour mettre en place la sélection, et le suivi d’une plantation témoin en dimension réelle, à une échelle maitrisable sans doute 20 hectares ; le projet sera planifié sur 10 ans. »
Nota : l’anacarde (qui produit les noix de cajou) et la mangue sont majoritairement cultivé en mono ou bi-culture au Burkina Faso.
Laurent Kerdoncuff, fondateur de l’Attelier