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Ch€re bio ?

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La question du prix est LE sujet qui revient lorsqu’on parle d’alimentation bio. Cela veut dire quoi, « cher » ? « Cher » par rapport à quoi ? Comment la Politique Agricole Commune (PAC) a fait perdre de vue à la plupart d’entre nous le coût de production d’un produit ? Pénalise-t elle les petites fermes et l’agriculture bio paysanne au profit d’un modèle agro-industriel ? Comment construisons-nous nos prix, à Scarabée, pour soutenir une bio paysanne en essayant de la rendre la plus accessible possible ? Dans les prochains numéros de notre journal La Feuille et dans une série d’articles à paraître sur notre site, producteurs, référents-produits, diététicienne, tenteront à travers leur regard croisés de répondre à ces nombreuses questions.

A l’origine du prix… la PAC

Pour parler « prix », un coup d’œil dans le rétroviseur s’impose.
Mars 1957, le Traité de Rome institue la Communauté européenne et son marché commun. Dans un contexte de pénurie, où l’Europe d’après-guerre n’est pas auto-suffisante au niveau alimentaire, la Politique Agricole Commune (PAC) est la première politique définie et financée en commun. Elle sera mise en œuvre en 1962. Les marchés sont désormais protégés et un prix d’achat est garanti aux producteurs.

Dès la fin des années 1970, les prix garantis conduisent, peu à peu, à la surproduction. Seul le secteur laitier sera régulé, avec les quotas, en 1984.

La réforme de 1992 marque un tournant : les prix garantis sont remplacés par des aides versées directement aux paysans, proportionnelles à la taille de leur exploitation, pour qu’ils baissent leurs prix et soient compétitifs sur le marché mondial. Cette réforme entérine le soutien d’un modèle agro-industriel au détriment d’un modèle paysan. L’industrie agro-alimentaire peut transformer en plats préparés une matière première agricole à bas prix. Aujourd’hui, la valeur ajoutée de l’agriculture dans la consommation alimentaire ne représente que 15% de la dépense alimentaire des ménages¹.

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Un des visuels du mouvement « La Bio à poil », en juillet 2021, qui dénonçait, entre autres, la suppression des aides au maintien en agriculture bio.
L’image « prix » faussée par la PAC

Les aides de la PAC représentent sur la période 2010-2018 environ 80% du revenu courant avant impôt des exploitations agricoles, selon l’INRAE (l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement)². Sans ces aides, près de 50% des exploitations agricoles auraient un revenu courant avant impôt négatif¹.
Ce système sous perfusion a un impact sur l’image « prix » qu’ont la plupart des consommateurs, image complètement décrochée des coûts de revient réels.

Il explique aussi, sans doute, pourquoi la part de l’alimentation dans les dépenses de consommation des ménages est passée de 34,6% en 1960 à 13,4% en 2018 ³.

La grande perdante de ces aides à l’hectare : l’agriculture paysanne et bio

En s’inscrivant dans une logique d’aides proportionnelles au nombre d’hectares, la PAC soutient avant tout les grandes exploitations, au détriment des petites fermes en agriculture paysanne et bio, telles que celles avec lesquelles nos magasins et restaurants travaillent en local. En 2013, environ 20% des plus grosses exploitations captaient ainsi quelque 80% des subventions directes (4).

Si cette logique de subventions à l’hectare pénalise les petites fermes, créatrices d’emplois, elle pénalise aussi la polyculture au bénéfice d’une monoculture qui appauvrit les sols. « Une ferme qui ne fait que quatre produits va se mécaniser, faire des économies de temps, avoir besoin de moins de main-d’œuvre » souligne Hughes Van Kriekinge, référent fruits et légumes à Biocoop Scarabée. « A Scarabée, on travaille avec des fermes qui produisent jusqu’à 40 légumes à l’année, qui n’ont pas de machines “dernière génération” pour chaque culture, qui ont besoin de plus de main-d’œuvre. Le prix de revient d’une carotte produite à Bruz, sur une petite ferme bio en polyculture, est forcément plus élevé que le prix d’une carotte produite sur des hectares de carottes en monoculture ».

Or, depuis des décennies, c’est bien à ce prix d’une carotte produite à échelle industrielle, de manière intensive, largement financée par les aides de la PAC, et distribuée en grande distribution, avec les économies d’échelle que cela implique, que la plupart des consommateurs comparent le prix d’une carotte bio locale, produite en agriculture paysanne, distribuée dans nos rayons.

Du coût de production « fournisseurs » à un prix de vente accessible en magasin : une permanente recherche d’équilibre

Le coût de revient d’un produit issu d’une agriculture bio paysanne, beaucoup moins soutenue par un système d’aides à l’hectare, sera toujours plus élevé que le prix d’un produit issu d’une agriculture non bio à dimension industrielle. Tout l’enjeu est donc, pour nos magasins, de soutenir localement le développement d’une agriculture bio paysanne, en tenant compte des coûts de production de nos fournisseurs, tout en proposant des prix accessibles au plus grand nombre… Dans un contexte où, depuis des décennies, l’image “prix” des produits est largement influencée par les prix des produits agricoles dont les coûts sont artificiellement maintenus a minima grâce aux aides de la PAC.

Le soutien à l’agriculture bio paysanne et locale : c’est donc nous qui l’apportons, magasins spécialisés, avec vous, clientes et clients, prêts à payer, chacun à notre échelle, un prix qui tient compte des réels coûts de production. En plus des 110 euros annuels que chaque contribuable paie chaque année pour le financement de la politique agricole commune, même si nous sommes en désaccord avec ses orientations.

Il est donc primordial, lorsqu’on se dit ou qu’on entend dire “c’est cher”, de se demander : “cher par rapport à quoi ?” ; par rapport au réel travail qu’il y a derrière ? Ou par rapport aux prix des produits issus d’une agriculture industrielle subventionnée, qui lessive les sols autant que les petites fermes ?

Le cadre Biocoop : 31,5% de marge nette comptable distribution maxi

Dans cette détermination à trouver l’équilibre entre un prix juste pour les fournisseurs et accessible au plus grand nombre, tout en assurant la pérennité de notre coopérative, le cahier des charges Biocoop fixe un cadre. Il impose aux magasins sociétaires que le taux de marge nette comptable distribution ne dépasse pas 31,5%. A Scarabée, au 30 septembre dernier, nous étions à 30,5%.
Cela paraît beaucoup ? Dans les faits, environ 33% de cette marge est dédiée aux achats et charges externes (loyers et coûts de fonctionnement de nos sites).
60% environ servent à payer impôts, taxes, et salaires des équipes. 5,6% sont consacrés aux remboursements d’investissements et au développement.
L’objectif de la coopérative est, au final, d’atteindre un résultat net avant impôt de 1,4%. Sur lequel reste à verser des impôts, donc, et, lorsque le résultat est suffisant, primes de participation et d’intéressement aux équipes, ce qui n’a pas été possible depuis 2016.
L’adoption du statut SCIC nous engage par ailleurs désormais à remettre 57% de ce résultat en fonds propres ; Scarabée a fait le choix de pousser ce ratio à 100%.

Le cadre donné par Biocoop et les choix statutaires de Scarabée ont pour but que le chiffre d’affaire reste au service du projet commun aux magasins du réseau : le développement de l’agriculture bio, en priorité locale et paysanne. Ensuite, à l’intérieur de ce cadre, chaque magasin-sociétaire “pilote” sa marge en fonction des priorités qu’il se donne : favoriser les produits de base, les produits les plus locaux, ou un rayon spécifique, comme le rayon “parents-bébé”, par exemple. Comme l’explique Hughes Van Kriekinge, référent des rayons fruits et légumes, et vous l’expliqueront dans plusieurs entretiens à paraître sur notre site et dans notre journal La Feuille nos autres référents produits.

Trouver un prix juste pour la ou le producteur, la ou le client, en couvrant les frais de fonctionnement de notre coopérative est un exercice de haute voltige… Une des nombreuses différences entre une coopérative comme Scarabée et une enseigne alimentaire « classique », au-delà de considérer l’activité économique des magasins et restaurants au service d’un projet social, est de pouvoir être transparents. Ce qui est luxe, dans le commerce, la construction d’un prix étant sans doute le secret le mieux gardé.

Parlons prix : parole de maraîcher

La construction des prix dans nos rayons fruits-et-légumes

¹ Politique Agricole Commune de demain, un débat public pour préparer le plan stratégique national de la France, Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. www.inrae.fr/
² www.inrae.fr/actualites/pac-questions
³ www.insee.fr/fr/statistiques/3564748#documentation
4 www.confederationpaysanne.fr. Infographie « Pas CAP d’expliquer la PAC »