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Parlons « prix » : parole de maraîcher

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Installés à Montreuil-Le-Gast dès 2007, Arnaud Daligault et Céline Yeurc’h sont maraîchers sur la ferme Le Coucou et fournissent en légumes nos magasins et restaurants. Arnaud est également président d’Agrobio 35, groupement des paysans bio d’Ille-et-Vilaine.

La PAC pénalise-t-elle les petites fermes en bio au détriment des grosses fermes en conventionnel, ou est-ce une idée reçue ?

Non, c’est une réalité que les petites fermes en agriculture bio sont proportionnellement moins aidées. Prenons l’exemple d’un maraîcher avec une production diversifiée sur 3 à 6 hectares. Même avec 900€ de subventions à l’hectare, comparée à une ferme conventionnelle qui cultive 60 à 70 hectares de maïs en chimie qui recevrait 300€ à l’hectare, elle sera forcément, en tant que petite ferme, moins valorisée qu’une grande.
Au-delà du nombre d’hectares, il faut aussi prendre en compte ce qu’on va mettre dessus. En France, on continue à faire des matières premières d’exportation, souvent destinées à l’alimentation animale, pour une question de balance commerciale.
Prenons l’exemple du maïs très subventionné et qui rentre majoritairement dans la ration des vaches laitières en conventionnel. Le prix de revient se situe à 400€ les 1000 litres de lait, les industriels payent 340€ les mille litres. Sans aides PAC à la production de maïs, plus de producteurs. C’est donc bien les industriels et distributeurs qui empochent la mise et qui faussent totalement les prix du lait vendu en supermarchés. Un exemple ; en 2013, quand les aides à l’exportation de volailles ont été suspendues : l’entreprise Doux a mis la clé sous la porte. Cela veut bien dire que les aides à l’exportation n’aidaient pas les éleveurs, mais les industriels. Les producteurs en système industriel ne vivent pas de leur métier.
On veut produire moins cher pour nourrir les gens ? OK ; mais pourquoi, alors, ne pas mieux rémunérer le maraîchage par exemple ou en tout cas les fermes qui produisent de la qualité et vendent localement ? Or la PAC continue à financer un système de balance commerciale. Si on veut une relocalisation agricole, moins d’alimentation animale, une agriculture à taille plus humaine : c’est très simple. C’est bien la PAC qui pourrait le faire, à travers d’autres choix.
La bio, en général, en profite beaucoup moins. Prenons une vache nourrie au maïs, et une vache nourrie à l’herbe. Le choix de l’herbe est beaucoup moins aidé que le maïs.
Même sur le second pilier, qui valorise les pratiques agricoles, il n’y a rien de vraiment notable pour inciter les agriculteurs à changer leurs pratiques. Or la PAC pourrait être un vrai outil pour changer le monde paysan, changer les pratiques.
C’est pour cela qu’on a manifesté lors de « La Bio à Poil ». Avec la suppression des aides au maintien en agriculture bio, certains agriculteurs vont rebasculer vers le conventionnel et, pour les conversions, le volume d’aides PAC n’est pas assez attractif.

Quels sont les leviers, pour soutenir l’agriculture bio paysanne ? Quel est le rôle des consommateurs, par exemple, selon toi ?

Le consommateur a vraiment un pouvoir énorme sur le monde agricole, par son pouvoir d’achat. C’est vrai que c’est un peu la double peine, lorsqu’il achète bio et local, il paye deux fois : et un prix plus cher, et la PAC ! Mais son rôle est indispensable. Lorsqu’on achète bio et local en direct sur les marchés, ou en magasins spécialisés, comme à Scarabée, c’est un vrai choix conscient de soutien à notre agriculture.
La PAC est un système inégalitaire. Il est scandaleux que des maraîchers qui travaillent autant et emploient beaucoup soient moins privilégiés. On veut une rémunération de la PAC à l’actif, au nombre d’emplois, pas à l’hectare. Nous, on travaille à 4, sur 3,5 hectares. Dans une ferme voisine, ils travaillent à 2 sur 120 hectares, dont 70 de maïs…

Peux-tu parler de la prise en compte de tes coûts de production à Scarabée, de la manière dont se passe la négociation de prix ?

Lorsqu’on a démarré en 2008-2009, nous étions 8 à 10 maraîchers fournisseurs. Aujourd’hui : nous sommes 50. C’est un vrai partenariat. Quand Scarabée se développe, le nombre de maraîchers se développe, quand les maraîchers se développent : Scarabée se développe.
Quand on discute en tant que partenaires, on discute mieux. Si Scarabée nous dit qu’il y a une baisse d’activité, et nous demande quels efforts on peut faire : on regarde ensemble ce qui est possible. Actuellement par exemple, Hughes (ndlr : Hughes Van Kriekinge, référent « Fruits et légumes ») nous incite à travailler sur des promos, alors qu’on n’aime pas ça, ce n’est pas dans nos habitudes, mais on comprend la logique et on fera des efforts.

Que penses-tu de la certification Haute Valeur Environnementale (HVE), portée par la nouvelle PAC ? Dans le milieu de la bio, on parle souvent d’un nivellement par le bas ?

On est dans le réseau bio pour développer la bio, pas pour qu’elle reste une niche. On accompagne donc n’importe quelle productrice ou producteur là où il en est, sans jugement.
Rappelons que 60% des producteurs bio viennent du conventionnel. On a donc des actions d’accompagnement qui visent le monde agricole au sens large.
On nous dit que le label HVE va amener le monde agricole vers des meilleures pratiques ? Oui, très bien. Mais 90% des agriculteurs sont éligibles HVE, donc partent de très très très bas.
Le plan Ecophyto s’avère être une cata. Quatre milliards d’euros ont été dépensés pour un objectif de baisse de conso de pesticides de 50%, 10 ans plus tard nous sommes à +15% ! En France, on est des « bouses » sur le plan agricole…Si au moins HVE fixait un objectif, si la certification obligeait a atteindre ces objectifs… Mais rien.
Le gros danger, on le voit déjà, c’est que le label HVE soit mis au même niveau que le label bio. En restauration collective par exemple, lorsqu’on demande à un gestionnaire de cantine de faire un effort sur la qualité de ses appro, il va avoir le choix entre HVE, Bio, ou « Bleu blanc cœur ». HVE étant le moins cher, il ira vers cela en se disant qu’il a accompli sa mission de développement durable et de protection de l’environnement.
On voit des fermes de taille moyenne disparaître autour de nous. On glisse rapidement vers cela. Je veux défendre une PAC vertueuse, pour un vrai changement.

Selon le dernier recensement agricole décennal publié par le ministère de l’Agriculture le 10 décembre 2021, 100 000 fermes ont disparu en dix ans.

Ch€re bio ?

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