Elles sont dix-huit mille variétés et quarante espèces dans le monde. Elles sont cultivées et consommées sur tous les continents. Elles ont été délaissées ces dernières décennies à la faveur de la viande. Mais elles reviennent progressivement dans les champs et sur les tables. Les légumineuses sont une voie pour la transition alimentaire.
Pois chiches, lentilles, fèves et haricots font partie de la grande famille des fabacées. Cultivées dès le néolithique, les légumineuses ont un intérêt pour l’agriculture, pour l’environnement et pour l’alimentation. Elles ont tout bon en somme !
Le saviez-vous?
Il existe trois groupes de légumineuses :
- Les légumineuses fourragères qui sont cultivées pour nourrir les bêtes rassemblent la luzerne, le trèfle, la vesce, la féverole…
- Les légumineuses graines qui servent à l’alimentation humaine regroupent les haricots secs, les lentilles, les fèves, les graines de lupin, les pois chiches…
- Les oléoprotéagineux qui servent à faire de l’huile ou des tourteaux comprennent les pois, le colza, le soja…
Il y a cent ans, nous consommions en France sept kilos de légumineuses par an et par personne. Il y a dix ans, nous n’en consommions plus que deux. Au regard des quatre-vingt-cinq kilos de viande, des cinquante-trois kilos de laitages ou des quarante-huit kilos de pommes de terre, c’est peu ! Les chiffres sont éloquents, mais pourquoi un tel désamour ? Il se pourrait bien que la démocratisation de la viande soit passée par là. Alors qu’elle était autrefois réservée aux occasions exceptionnelles, la consommation de viande a connu après-guerre un essor foudroyant, au détriment des légumineuses qui ont été peu à peu délaissées. Il aura fallu attendre près d’un siècle pour redécouvrir les vertus des légumineuses et l’impératif écologique qui nous propose – nous intime même – l’ordre de végétaliser notre assiette. La loi Egalim aidant, les légumineuses font peu à peu leur retour dans les champs et dans les assiettes, au prix d’un travail obstiné à tous les niveaux de la filière.
Côté champ, une pépite agronomique
Alors nous sommes remontés à l’origine de la filière : la graine. Pour comprendre l’intérêt agronomique des légumineuses, nous sommes allés à la rencontre d’Emma Flippon, ingénieure agronome qui étudie en ce moment les lentilles juste ici, à La Chapelle Thouarault, dans l’objectif de qualifier et de déployer le meilleur mélange de semences pour les agricultrices et agriculteurs du territoire.
Et ce que nous avons bien compris, c’est que les légumineuses ont un allié majeur : l’azote, et une capacité qui leur est propre : le fixer dans le sol. « L’azote c’est le carburant, les vitamines des plantes : ça les aide à pousser » nous explique Emma en mode la chimie pour les nuls. Cette faculté des légumineuses à fixer l’azote dans le sol, et donc à le rendre disponible pour les cultures suivantes, elles seules la possèdent. Et c’est pour cela que les légumineuses sont un des leviers qui permettent à l’agriculture biologique de se passer d’azote de synthèse. L’azote de synthèse, vous savez, celui qui entre dans la composition du nitrate, qui ruisselle à la première grosse pluie, et se retrouve dans les cours d’eau, polluant du même coup les plages qui se retrouvent envahies d’algues vertes potentiellement mortelles lorsqu’elles se décomposent.
« Les légumineuses ont le super pouvoir de fixer l’azote dans le sol. »
En réalité, l’azote est précieux lorsqu’il est organique et reste dans le sol. Et ça, c’est le super pouvoir des légumineuses. En fixant l’azote dans le sol, les légumineuses l’enrichissent et le préparent pour la culture suivante qui pourra en bénéficier à son tour : « Le lupin, le pois et la féverole sont des protéagineux qui, en tant que légumineuses, sont capables de fixer l’azote atmosphérique et sont ainsi d’excellents précédents de céréales, explique Emma Flippon. En fonction du système et de la rotation, ils peuvent contribuer à l’amélioration de la structure du sol, rompre les cycles de certains bioagresseurs de céréales et être une source d’azote pour le système de culture. »
Si les légumineuses sont des engrais verts bénéfiques pour les sols, elles peuvent aussi être doublement utiles en association. En cultivant simultanément lentilles et cameline ou féverole et blé par exemple, non seulement l’azote pourrait être « partagé » par les légumineuses avec les céréales, mais en plus la récolte est double. Une parcelle, deux cultures, c’est tout bénef ! Cela limite la prolifération de « mauvaises » herbes, et permet aussi deux récoltes dans le même temps et sur la même parcelle, améliorant ainsi le rendement global.
Des alliées pour la planète
Mais ce n’est pas tout. En plus de nourrir le sol, les légumineuses prennent soin de la qualité de l’air. En fixant l’azote dans le sol, elles limitent l’émission du protoxyde d’azote dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre très puissant, trois cents fois plus que le gaz carbonique. Et ce qui est formidable, c’est que cet effet positif au champ, on le retrouve à l’échelle planétaire. « Par exemple, disent Michel Duru et Marie-Benoît Magrini, agronomes à l’Inrae, remplacer une culture de céréale par du pois et/ou du soja dans le cas d’une rotation de trois à cinq ans, permet de réduire de 20 % les apports d’azote de synthèse, de 80 % la formation d’ozone, de 90 % l’eutrophisation des eaux et des gaz à effet de serre, et de 15 % l’acidification des océans. » Imaginons la puissance d’impact positif sur l’environnement si chaque paysan mettait à un moment des légumineuses dans son champ !
Les légumineuses nourrissent le sol. Elles nourrissent aussi les bêtes. Et leur usage dans l’alimentation animale permettrait aussi de limiter les dégâts à l’échelle planétaire. Si les éleveurs et éleveuses en France remplaçaient les tourteaux de soja importés par des légumineuses fourragères comme le sainfoin ou le trèfle, cela permettrait non seulement de limiter la déforestation et l’érosion de la biodiversité causées par la culture du soja au Brésil, de limiter les émissions de gaz à effet de serre liées à leur transport, mais également de limiter les émissions de méthanes par les ruminants du fait de leur meilleure digestibilité.
Un levier majeur pour la transition alimentaire
Bonnes pour les sols, bonnes pour la biodiversité, bonnes pour la qualité de l’air, les légumineuses sont aussi bonnes, tout court. Bonnes à manger ! Et ça tombe bien car la consommation de légumineuses est aussi une voie sérieuse pour la transition alimentaire. Car il est impératif d’envisager la transformation de notre alimentation pour qu’elle réduise autant que possible son impact sur l’environnement et la santé humaine.
Comment adapter notre alimentation pour la rendre durable dans le contexte planétaire de réchauffement climatique ? Comment nourrir le monde en 2050 étant donné l’accroissement constant de la population et dans le même temps la raréfaction proportionnelle de terres agricoles disponibles pour la production alimentaire ?
Nombreux sont les scénarios qui ont étudié la question ces dernières années. Que ce soit l’Ademe, l’IDDRI, le WWF ou Solagro, toutes s’accordent sur une chose : la part de viande devra impérativement diminuer au minimum de moitié dans notre régime alimentaire au profit d’une alimentation végétalisée. Et vous l’avez certainement deviné, l’une des bottes secrètes d’une assiette plus végétale, ce sont les légumineuses bien sûr. Car elles sont non seulement riches en protéines végétales, mais également en fibres, en fer et en vitamine B9. Selon les scénarios modélisés par ces différents acteurs, la part de légumineuses devra être multipliée par 3 à 14 !
À ce titre, l’étude produite en 2024 par le Réseau Action Climat et la Société Française de Nutrition intitulée Comment concilier nutrition et climat ? Pour la prise en compte des enjeux environnementaux dans le Programme National Nutrition Santé est riche d’enseignements. Elle décrypte dix-sept scénarios pour une alimentation durable à tous points de vue, c’est-à-dire pour la santé humaine et pour l’environnement. Et sans surprise, la consommation quotidienne de soixante-cinq à cent grammes de légumineuses figure parmi les trois recommandations pour les pouvoirs publics qui concluent cette étude.
Cela étant dit, l’enjeu reste de taille. D’une part, parce que les légumineuses pâtissent encore d’une image vieillotte et triste. D’autre part, parce que développer la consommation de légumineuses signifie développer leur culture de manière massive, avec tous les besoins en savoir-faire et en équipements que cela implique. C’est toute la filière qu’il faut mobiliser, de la graine à l’assiette. Et c’est précisément l’ambition du projet de recherche « Jack » qui réunit autour de l’Institut Supérieur des Agricultures d’Angers, quinze partenaires d’un bout à l’autre de la filière.
Pour redorer le blason des légumineuses et impulser son développement dans les champs et dans les cuisines, des personnes issues de toutes les disciplines, recherche académique et appliquée, gastronomie, agriculture, agro-industrie, restauration collective, se sont mises autour de la table pour construire ensemble un avenir joyeux pour les légumineuses. Avec un double objectif : augmenter la consommation et la production de légumes secs en France, « un projet très important qui répond à des enjeux de santé humaine et de lutte contre le réchauffement climatique » explique Isabelle Maitre qui dirige cette recherche.
Entre la graine et l’assiette
Côté semence et biodiversité cultivée, il y a donc D’une graine aux autres qui contribue à déployer des mélanges de semences résilients capables d’offrir un avenir joyeux aux lentilles bretonnes !
Mais entre la graine et l’assiette, il y a tout un parcours, un peu plus compliqué que celui des légumes qui transitent facilement sans escale du champ à la cuisine. Car si les lentilles, les haricots ou les pois arrivent prêts à cuisiner dans les silos à vrac de votre magasin, c’est qu’auparavant, ils ont été séchés, triés et conditionnés. Et cette étape fondamentale nécessite des équipements coûteux que les « petits producteurs bio » ne sont pas toujours en mesure de posséder. En Mayenne, l’entreprise Agro Logic s’est spécialisée dans le tri et le séchage des graines et s’est justement équipée pour pouvoir soutenir les agriculteurs et agricultrices du territoire. « En 2016, nous avons fait ce choix d’aller vers les graines pour pouvoir les valoriser alors que l’offre n’existait pas sur notre territoire. Et aussi pour des raisons agronomiques : les graines ont des bienfaits sur l’écosystème. Nous essayons d’avoir l’approche la plus globale possible » explique Mylène Seyeux. Au total, ce sont cinquante producteurs et productrices installé·es dans un rayon de 80 kilomètres autour de l’usine de Nuillé-sur-Vicoin qui font appel à l’expertise et aux équipements d’Agro Logic. Ici, une fois que les champs ont été fauchés et les graines récoltées, on les fait sécher dans des caissons à 40° maximum un temps plus ou moins long suivant le taux d’humidité de la graine. Une fois sèches, les graines passent par différentes étapes de tri. Dernière étape avant conditionnement : le passage par la trieuse optique, une machine calibrée pour détecter la moindre herbe folle, le plus petit caillou ou le vilain haricot cassé. Et n’allez pas croire que les graines abîmées finissent à la benne, car dans la perspective de l’objectif zéro déchet de l’entreprise mayennaise, elles seront plutôt transformées en farine. Et la farine de lentille ou la farine de pois chiche ont de beaux jours devant elles. Car on n’a pas encore tout inventé côté cuisine des légumineuses.
« La légumineuse a un rôle à jouer à l’échelle de nos territoires » Charlotte Marsollier, L’atelier V
Étudier les aptitudes culinaires des légumes secs est d’ailleurs un enjeu du projet Jack. Comme l’explique sa pilote : « On va étudier le lien entre la façon dont je produis dans le champ le légume sec et à quelle application culinaire il est le plus approprié. Ce lien va nous permettre d’apporter de la valeur ajoutée à ces cultures et va pouvoir se distribuer tout au long de la filière. »
« Repimper » les légumineuses
Il y a une autre manière de chercher, plus artisanale, plus empirique et qui porte ses fruits, pour le plus grand plaisir des fins gourmets. Et de toute l’équipe de L’atelier V. Installée à Vannes depuis bientôt dix ans, cette petite entreprise a fait des légumineuses sa matière première de base et du houmous son produit phare. C’est pour contribuer concrètement à la résilience alimentaire du territoire et s’impliquer dans une alimentation porteuse de sens que Xavier Le Louër et son équipe se sont lancés dans cette aventure un peu folle.
« Avec L’atelier V, on voulait retrouver la légumineuse historique, sans pour autant reproduire les recettes ancestrales. On a cherché à « repimper » les légumineuses me confie Charlotte Marsollier, responsable Innovation à l’atelier V, parce qu’elles cochent toutes les cases de l’alimentation positive : elles sont colorées, ont des propriétés nutritionnelles incroyables, font partie de notre patrimoine gastronomique. »
Déclinés en dix recettes, les tartinables de L’atelier V sont préparés à partir de pois chiches, de haricots ou de lentilles, associés à des légumes de saison, épices et herbes aromatiques. Si vous avez déjà goûté ces petites merveilles de saveurs, vous vous êtes sans doute posé la question de leur secret de fabrication pour arriver à un résultat si juste. Disons-le d’emblée, il n’y a pas de secret. Il n’y a pas non plus de professionnel de la recherche et développement au sens agroalimentaire du terme. Il y a juste une équipe passionnée de cuisine. « On reproduit à l’échelle XXL ce qu’on fait dans notre cuisine : aboutir à une recette qui plaise à toute l’équipe, c’est notre boussole. C’est des essais, des réessais. Nous avons beaucoup entraîné nos palais et nous continuons. Il n’y a pas de secret. On fait de la cuisine comme le ferait un chef. Ça se joue sur le bon mixage, la bonne cuisson. Il y a eu beaucoup d’essais ratés aussi. On ne s’interdit rien, on essaie tout. Le vrai talent c’est de réussir à retranscrire notre passion pour la cuisine dans l’usine. »
Côté assiette, une pépite nutritive
Comme alliées de l’environnement, les légumineuses peuvent monter sur le podium. Comme alliées de l’équilibre alimentaire, elles montent carrément sur la première marche ! Leur petit secret ? Une richesse en protéines végétales incomparable. De quoi faire pâlir le rosbeef du dimanche.
Riches en fibres, sources de protéines et de nombreux micronutriments comme la vitamine B9, le magnésium, le calcium et le fer, les légumineuses n’ont pas à rougir et sont une clé pour une alimentation saine et moins carnée. Pour peu qu’on les rende séduisantes sur la table. Si le cassoulet ou la potée aux lentilles pâtissent encore d’une image un peu veillotte, le dahl de lentilles corail, le chili con (ou sin) carne ou bien les gâteaux à la pâte de haricot que l’on déguste au Japon sont peut-être des pistes réjouissantes pour introduire davantage de légumineuses dans nos assiettes quotidiennes. Proposer une cuisine végétarienne, équilibrée, de saison et joyeuse, c’est d’ailleurs la mission à laquelle s’attèlent les cuisinières et cuisiniers de nos restaurants Pique-Prune.
Du champ à l’assiette, les légumineuses ont des impacts positifs à tous les niveaux. Elles sont une véritable voie pour la transition écologique qui nous oblige. Prenons-en de la graine !
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Le point de vue de Jérôme, cuisinier au restaurant Pique-Prune de Cleunay
Les légumineuses ont une image un peu triste, quel est ton petit secret pour les rendre plus attrayantes ?
D’abord, il faut dire une chose importante : les sources de fer et de protéines des légumineuses sont hyper intéressantes pour l’équilibre alimentaire. Notre astuce au restaurant, c’est d’ajouter des légumineuses dans des plats où les gens n’ont pas l’habitude de les trouver. C’est vrai qu’on a souvent une image un peu old school des légumineuses cuites à l’eau. Mais il y a plein de possibilités de les rendre attractives : en moussaka avec des lentilles vertes, des céréales et de la feta par exemple. Ou en dahl de pois cassés avec des épices qui harmonisent les goûts et shuntent au passage le côté clivant du pois cassé.
On dit souvent qu’il faut faire tremper les légumineuses une nuit avant de les faire cuire, pourquoi ?
Au moment du séchage des graines se développent des antinutriments qui limitent l’absorption des nutriments lorsqu’on les consomme. Tremper les légumineuses permet de rendre disponibles les vitamines, le fer et les enzymes présents dans les légumineuses. Et de les rendre plus digestes.
Et toi, c’est quoi ta recette de légumineuse préférée ?
Une de mes recettes préférées c’est le falafel. Là, la légumineuse est reine. Je l’aime très vert : il faut être très généreux en herbes. Jeté dix minutes dans une huile bien chaude, c’est beau, ça fait une belle croûte. Et quand tu l’ouvres, tous les aromates explosent !
Un dernier secret à partager ?
Pour que le corps puisse fixer le fer des légumineuses, j’ajoute toujours un jus de citron sur les lentilles. La vitamine C rend le fer assimilable par le corps.
Le saviez-vous ?
L’aquafaba c’est magique ! Ce liquide issu de la cuisson des pois chiches a un pouvoir émulsionnant. Battu comme le blanc d’œuf, il remplace les blancs en neige ; avec un peu de sel, de moutarde et un trait de citron, il fait une magnifique mayonnaise végétale et en ajoutant de l’ail et du curcuma pour une jolie couleur jaune, un savoureux aïoli. Formidable non ?