Explorer les fermentations, c’est explorer un champ d’expérimentations infini. Qui nous offre des perspectives vers une alimentation riche, favorable à la santé et s’avère être un rouage inestimé de la transition alimentaire.
Notre société contemporaine est de plus en plus aseptisée. En plus de vouloir bannir à tout prix les microbes et bactéries, elle veut aller vite, toujours plus vite. Et si nous faisions un pas de côté ? Et si nous prenions conscience que les bactéries et le temps perdu sont le ferment d’une alimentation durable ?
Depuis quelques années, dans les rayons de nos magasins, dans les restaurants de nos villes, dans les fermes de nos paysannes et paysans, on voit surgir choucroutes crues, kimchi, kombucha et autres aliments fermentés. Mais revenons quelques dizaines, centaines, que dis-je, quelques milliers d’années en arrière ! En réalité, les aliments fermentés ne sont pas une mode, ils sont un mode de conservation des aliments ancestral et universel.
Les hommes et femmes du néolithique consommaient déjà des aliments fermentés. Et pour cause, c’était la meilleure manière de conserver la viande, en la laissant faisander à l’abri de la lumière. On a aussi retrouvé aux confins de la Turquie les traces d’une cuve servant à fermenter les céréales il y a près de 14 000 ans ! C’est dire si nous n’avons pas attendu les microbrasseries locales pour consommer de la bière de qualité. Pour le dire en une phrase, la technique de la fermentation n’est pas nouvelle. Et aujourd’hui c’est plutôt la redécouverte de méthodes ayant fait leurs preuves qui nous ouvre des perspectives alimentaires et gustatives.
Une pratique universelle
La fermentation est aussi une pratique universelle. Si l’on connaît bien la choucroute alsacienne et si l’on redécouvre le gwell breton, la sauce soja asiatique, les cornichons d’Europe de l’Est, les citrons confits du Maghreb ou les olives du bassin méditerranéen, le poisson séché norvégien, les galettes de céréales de la corne de l’Afrique ou le pain au levain de nos paysans locaux, le saucisson, le fromage sont tous des aliments fermentés. On estime à plus de 5 000 la variété d’aliments fermentés que l’on consomme dans le monde. Ils représentent à eux seuls le tiers des aliments consommés sur la planète.
+ de 5000 aliments fermentés sont consommés dans le monde
Bactéries chéries
Le principe est simple : favoriser l’action des microorganismes pour transformer l’aliment et pouvoir le conserver, sans conservateur !
La fermentation est le résultat de l’action de ces organismes vivants, les levures, moisissures et bactéries. S’ils ne sont pas spontanément présents, ces ferments sont ajoutés aux aliments pour les transformer : au lait qui sera notre fromage, à la farine de notre pain, au moût de malt de notre bière ou au thé de notre kombucha. En dégradant le sucre (glucose, lactose, maltose…) contenu dans l’aliment ils vont produire de l’acide ou de l’alcool qui permettront la conservation. Viennent aussi naturellement s’y ajouter des arômes, des vitamines ou du dioxyde de carbone qui produit le côté pétillant.
Tout l’enjeu d’une fermentation réussie est de parvenir à faire « gagner » les bonnes bactéries, celles qui vont inhiber ou détruire les toxiques et transformer l’aliment pour le rendre à la fois comestible et savoureux. Et si en plus il contribue à la santé de notre microbiote, on ne peut qu’applaudir des deux mains !
Consommer des aliments fermentés, c’est ingérer des microorganismes vivants. Cela contribue à entretenir la richesse de notre microbiote intestinal, peuplé de milliards de microorganismes.
Manger des aliments fermentés enrichit notre microbiote intestinal
Depuis plusieurs années, les scientifiques ont mis en évidence que les interactions que nous entretenons avec les microorganismes de notre intestin ont des liens forts avec notre santé et que leur nombre et leur diversité sont déterminants. Comme le conclut une étude menée par l’école de médecine de Stanford, « les aliments fermentés peuvent être utiles pour contrer la diminution de la diversité du microbiote et l’augmentation de l’inflammation, omniprésentes dans la société industrialisée ».
Qu’elles soient scientifiques ou participatives, nombreuses sont les recherches menées pour caractériser scientifiquement le caractère favorable à la santé de la consommation d’aliments fermentés.
4000 souches de bactéries d’intérêt alimentaire conservées à Rennes
Le saviez-vous ? C’est à Rennes que le centre international de ressources microbiennes (CIRM) conserve plus de 4000 souches de bactéries d’intérêt alimentaire appartenant à plus de 160 espèces différentes. Objectif ? Enrichir, préserver et valoriser les collections de microorganismes de l’Inrae pour contribuer aux recherches sur l’alimentation du futur.
Une palette infinie de saveurs
En attendant l’avis des chercheurs, nos papilles nous disent déjà merci. Un atout fabuleux de la fermentation, c’est l’infinie richesse de saveurs qu’elle peut produire. La fermentation lactique des végétaux par exemple, ce que l’on appelle la lactofermentation, permet de transformer absolument tous les fruits et légumes (excepté la pomme de terre, mais que ce soit en frites, en chips, en gratin ou en purée on a déjà mille manières de la préparer !).
Son principe est simple : mélanger et tasser les légumes avec un peu de sel dans un bocal fermé et laisser le temps faire son œuvre ! En l’absence d’air, et en présence des microorganismes naturellement présents sur les légumes fraîchement récoltés, la fermentation lactique va se produire. Les sucres vont être consommés par les bactéries et transformés en acide lactique. Résultat : le pH diminue et c’est cette acidité qui va anéantir les microorganismes pathogènes. Bon, ça c’est le résultat « technique » qui garantit la comestibilité et le potentiel de conservation de la préparation. Mais ce qui nous intéresse surtout, si comme moi vous êtes curieux.se et gourmand.e, c’est le résultat gustatif.
Particulièrement sobre en eau et en énergie, la lactofermentation permet de conserver et d’enrichir les aliments avec une variété infinie de recettes.
Magie de la lactofermentation
C’est bien là que s’opère la magie de la lactofermentation. Car en plus de ne pas consommer d’énergie et de produire une préparation que l’on conserve des mois, voire des années à température ambiante, la lactofermentation permet d’obtenir des saveurs qui évoluent, se bonifient même avec le temps, un peu comme les grands crus, rien que ça !
Que vous goûtiez votre choucroute ou vos pickles après un mois ou après un an, ils n’auront pas la même saveur. Leur goût va évoluer et des saveurs nouvelles prendront le dessus au fur et à mesure du vieillissement de votre préparation. C’est que ce sont des aliments vivants ! Ici, on ne parle plus de date limite de consommation mais de date minimale de consommation. Et le temps en est donc un ingrédient à part entière.
Aucun risque non plus de se lasser ou de ne pas aimer : les recettes sont littéralement infinies. Disons que la seule limite pourrait être celle de l’imagination de la cuisinière ou du cuisinier. On voit d’ailleurs les rayons des librairies regorger de livres de recettes toutes plus variées les unes que les autres pour apprendre à réaliser ses propres légumes lactofermentés.
Tandis que certain.es expérimentent à la maison toutes sortes de préparations lactofermentées, d’autres, attaché.es à la valorisation de nos beaux légumes bio ou à la lutte contre le gaspillage alimentaire en on fait leur activité principale. C’est le cas de Nicolas Paumier, par exemple, qui fournit Scarabée depuis quelques années avec ses bons bocaux de choucroute, kimchi et autres achards sous le joli petit nom de Cru’c.
Les Cru’c, délices lactofermentés
Grains de kéfir à partager !
Le kéfir de fruits, limonade des pauvres, est une boisson légèrement gazeuse fermentée grâce à de petits grains qui se nourrissent de sucre et des microorganismes présents sur les fruits séchés comme les figues ou les raisins secs. Envie de limonade maison naturelle et peu sucrée ? Chez Scarabée, on offre les grains !
Charmants ferments
Si l’on fermente les légumes depuis le début des temps, les céréales ne sont pas en reste. Y compris sur nos terres bretonnes. L’atelier Nomad Yo implanté en centre Bretagne a choisi d’explorer la fermentation du riz pour produire des yaourts végétaux hors du commun. Sans lactose et sans gluten, ils sont faits d’eau, de graines bio et de ferments isolés sur les graines par Christophe Favrot lui-même, artisan yaourtier (c’est comme ça qu’on dit ?) et ingénieur agronome de formation. Le résultat : un yaourt de type bulgare, onctueux, parfumé parfois au thym, à la menthe, au romarin ou à la verveine. Étonnant et tellement savoureux !
Si ses produits se dégustent à la petite cuillère, le plus formidable dans cette aventure au cœur des Monts d’Arrée, c’est la dimension coopérative du projet Nomad Yo. Comme le dit son fondateur, « le désir de donner un sens politique et social à son travail sont les motivations à la racine de ce projet. » Ainsi, le brevet déposé n’est pas un secret bien gardé mais au contraire une recette bien partagée. La licence Creative Commons BY NC SA en fait tout simplement un bien commun. Aussi bien que le procédé de fabrication artisanale partagé en toute simplicité. Et surtout l’envie de mettre en commun les recherches et les avancées de chacun.e. La transformation alimentaire en mode coopératif, ça aussi c’est du vivant !
Une clé de plus pour la transition alimentaire
Les aliments du futur passeront par la fermentation. Alors que la planète nous enjoint à végétaliser davantage notre alimentation, la fermentation semble être la voie royale pour transformer et conserver les végétaux. Et produire une alimentation saine et durable. La fermentation est un mode de transformation naturelle libérée de la nécessité des additifs et conservateurs. Elle constitue aujourd’hui la meilleure piste pour nourrir la planète sans mettre en péril le système alimentaire.
Vive les céréales, vive les légumes. Et vive les bactéries !