Joanna Laval s’est installée dans une exploitation de cinq hectares à l’ouest de Rennes en août 2022. Son entreprise s’appelle La Botte Germée. Elle y produit, en Bio, des légumes primeurs, d’hiver et des graines germées destinés aux étals des magasins Biocoop Scarabée.
Quel a été votre parcours ?
Joanna : Rien ne me prédestinait au maraîchage. Polonaise d’origine, j’ai un Master en langue polonaise et une licence en français. Plutôt littéraire donc, même si j’ai commencé à travailler dans le secteur de la grande distribution, en Pologne et en Russie. Je vis en France depuis 2007 où j’ai travaillé pendant onze ans dans le domaine du Prêt-à-Porter. Mais peu à peu j’ai pris conscience de l’impact de
notre civilisation sur la nature. Quand on me parlait de « Développement durable » dans mon travail, j’y voyais plus un oxymore qu’une solution. Le recyclage des textiles que proposait mon employeur, c’était l’arbre qui cache la forêt. L’industrie textile est l’un des commerces les plus polluants de la planète. J’ai décidé de changer de métier pour me reconvertir en maraîchage. Ma reconversion professionnelle a débuté en 2017.
Le chemin a été facile avant la création de la ferme ?
Joanna : as vraiment. Ça a même été un peu le parcours du combattant. Heureusement, j’ai été bien entourée. J’ai fait une formation avec le CIVAM
35 « De l’idée au projet », suivie par une formation professionnelle en maraîchage biologique de neuf mois au CFPPA du Rheu. Pour acquérir de l’expérience, j’ai enchaîné avec plusieurs emplois dans des exploitations maraîchères bio, dont trois saisons chez Arnaud Daligault à Montreuil-le-Gast. Puis j’ai bénéficié d’une formation du CIAP35 (Coopérative à L’Installation en Agriculture Paysanne) centrée sur l’installation, avec beaucoup de pratique. Grâce au réseau, j’ai trouvé mon terrain : cinq hectares à Parthenay-de-Bretagne à 14 km de Rennes. Nous étions une quinzaine de candidats à la reprise. Mon dossier a été retenu parce qu’il s’agissait d’une installation et non d’un agrandissement. J’ai crée mon activité
en août 2021.
Qu’avez-vous choisi de produire ?
Joanna : J’ai deux activités voisines. D’abord la production de légumes primeurs (légumes bottes, pommes de terre primeur, etc.) et d’hiver (poireaux, courges, mâche, navets…). Pour disposer de plus de temps pour ma famille, j’arrête mon activité les deux mois d’été. Le choix de ma production est en accord avec la demande de mes clients et mes choix personnels. Ma deuxième activité, ce sont les graines germées. C’est une production très exigeante, avec des règles d’hygiène très strictes. Le montage de projet pour obtenir l’agrément m’a pris plus d’un an. Actuellement en France il y a vingt producteurs de graines germées. Je suis la première en Bretagne.
« Il est très important de soutenir l’agriculture biologique. Elle est plus résiliente et prend tout son sens par rapport à la crise qui nous attend et dont on a vu les effets cet été. Il faut acheter local et bio »
Les graines germées, qu’est-ce que c’est ?
Joanna : Les graines germées sont les aliments vivants par excellence. Fraiches, naturelles, écologiques et très nourrissantes, elles sont d’une richesse en vitamines et enzymes incroyables. Ce sont les graines des légumes, du blé, de l’avoine ou des noix qui sont mises à germination. Elles poussent en quelques
jours avec un peu d’eau, de la chaleur, de l’air, de l’attention et… un soupçon
d’amour. Actuellement je propose six références : alfalfa seule ou mélangée avec des radis roses (mix tonique) ou avec des radis noirs et choux (mix stimulant), du
haricot mungo, un mix « protéines » et du radis noir. Je les livre à Biocoop Scarabée le matin même de leur conditionnement. Elles sont extra-fraîches et se gardent sept jours au réfrigérateur. Pour l’instant, les graines germées sont conditionnées en boîtes recyclables mais je réfléchis à un système de consigne.
Quel est l’intérêt de consommer des graines germées ?
Joanna : C’est vraiment un produit d’avenir. Il renferme beaucoup de nutriments de façon très concentrée : oligo-éléments, enzymes, fibres, protéines, minéraux, vitamines, antioxydants, phyto-nutriments et bien d’autres substances biologiquement actives. Par exemple, la reine des graines germées, l’alfalfa contient trois fois plus de calcium, magnésium, potassium et fer que les épinards !
Les graines germées ont le goût du légume qu’elles pourraient devenir et sont aussi appréciées pour leur fraîcheur et leur croquant. Elles se consomment crues, en salade, sur un plat, cuisinées dans les plats (haricot mungo) ou se glissent dans des sandwichs.
Comment se passes la collaboration avec Scarabée ?
Joanna : Les premiers retours des responsables des rayons et des clients sont bons. Nous avons travaillé ensemble avec l’équipe de Scarabée pour déterminer un prix de vente accessible pour le client et rémunérateur pour moi. Même si l’augmentation récente du prix de l’énergie et des matières premières risque de déséquilibrer ce calcul. Je livre les magasins de Cesson-Sévigné, Saint-Grégoire, et de Rennes : Cleunay, Papu et Paris.
Quels sont vos projets de développement ?
Joanna : Pour me concentrer sur ma production, je souhaite confier une partie de mes livraisons au « Hub Éthique », un nouveau service de livraison de l’agriculture biologique dans le pays de Rennes. En contact avec le collectif « Nourritures» je souhaite aussi proposer mes graines germées aux restaurateurs. Et, à l’avenir, des plants sauvages et fleurs comestibles. Pour l’instant je travaille seule. Si l’activité le permet j’envisage de créer un emploi, au début en temps partiel, ensuite un temps plein Je voudrais aussi faire de ma ferme un lieu ouvert et collaboratif. C’est une idée qui me tient à coeur. Seul, on va plus vite mais ensemble on va plus loin.
Comment avez-vous pu faire face à la sécheresse et au manque d’eau de cet été ?
Joanna : Ma production est stoppée en été. Ma consommation d’eau est très faible. Je n’ai pas de légumes « ratatouille », donc ça s’est relativement bien passé. Mais la sécheresse met nos systèmes en danger. Aujourd’hui il faut se poser la question de l’accès à l’eau et son partage. C’est une question de vie ! Par ailleurs, j’ai installé un système de récupération d’eau de pluie sur mes toitures. L’économie d’eau réalisée m’a motivée pour irriguer une partie de mes cultures en goutte à goutte. Cela représente 45 % d’économie d’eau par rapport à l’arrosage standard. Il faut cependant savoir que le maraîchage n’a pas besoin de beaucoup d’eau : une ferme moyenne en Ille-et-Vilaine consomme entre 500 à 1.000 mètres
cubes par an.
Un message pour les consommateurs et consommatrices ?
Joanna : Je suis entourée de champs de maïs très gourmands en eau et dont la
production est destinée aux animaux. Il est urgent de revoir ce modèle et promouvoir une nourriture responsable à faible impact environnemental. Je pense qu’à l’avenir, les graines germées ont un rôle important à jouer : économes en eau et en énergie elles sont très concentrées en nutriments. Il est très important de soutenir l’agriculture biologique. Surtout dans cette période particulière. Nos fermes sont plus résilientes. Ça prend tout son sens pour répondre aux crises et aux défis du monde de demain. Les premiers effets ont été vus cet été. Acheter et
manger bio et local est idéal.