À quelques kilomètres du cœur de Rennes se cache un petit atelier pas comme les autres : celui de la Germillotte où Olivier et Nicolas créent des fromages bio pour le plus grand plaisir des fins gourmets. Nous sommes allés les rencontrer pour vous livrer leurs petits secrets (enfin presque).
C’est un labo flambant neuf au détour d’une route de campagne, du côté d’Andouillé-Neuville. Passé la porte, un effluve de lait cru vient nous titiller les narines. C’est que les deux gaillards qui nous accueillent aujourd’hui en ont fait leur matériau principal : ils sont artisans fromagers.
En créant La Germillotte il y a presque dix ans, Olivier Grosjean avait un souhait : valoriser le bon lait cru des éleveurs bio locaux en le transformant en fromages hors du commun. Il a été formé à bonne école, Olivier. Erika Hinks, productrice de cheddar bien connue des fidèles de Scarabée, l’a formé en l’accueillant pendant huit ans dans son atelier de Treverien. C’est là qu’il a fait ses premiers pas de fromager, prenant conscience de l’ampleur de la tâche, du temps nécessaire, de la dimension physique du métier… et de sa motivation intacte !
« La rencontre avec Erika a été fondatrice, nous confie-t-il. Et en 2015, je lâche mon travail et je passe à 100 % fromage ».
Deux parcours, un projet partagé
Qui aurait parié que cet ancien aide médico-psychologique pour adultes autistes et psychotiques se serait métamorphosé en quelques années en artisan fromager de haute volée ? De ses débuts à maintenant, la mue s’est faite progressivement jusqu’à être aujourd’hui bien connu des amateurs de fromages affinés avec passion, des végétariens qui ne jurent que par la présure végétale et des restaurateurs en quête de fromages avec une franche typicité mais produits tout localement.
« En s’associant, l’idée, c’était qu’on fasse ensemble, qu’on mette en commun notre savoir-faire »
Et puis il y a la rencontre avec Nicolas Pot en 2021. Cet homme-là non plus n’avait pas l’air prédestiné à la fromagerie. Originaire de région parisienne, formé à la sociologie, banquier pendant dix ans… ce n’était pas une raison de ne pas faire un virage à 180 degrés. Passionné de fromage depuis longtemps, Nicolas s’installe un an à Pontivy pour passer son BPREA – comprendre brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole. Là, il apprend les rudiments du métier d’agriculteur sous toutes ses facettes : l’élevage, le maraîchage, la transformation des produits de la ferme, mais aussi la gestion, les normes sanitaires… enfin tout ce qui fait d’un homme un bon paysan !
Puis il s’installe en Ille-et-Vilaine et commence par faire ses « armes » comme salarié en fromagerie artisanale à la Caprarius. La fameuse fromagerie de Bain-de-Bretagne qui a, pour notre plus grande peine, succombé aux assauts successifs du covid, de la sécheresse, de l’inflation, de la crise de la bio, lui aura permis de connaître de près tous les ressorts de la création d’un bon fromage. Après deux autres expériences comme salarié sur les fermes Réveille tes Sens à Sens-de-Bretagne et Au Pré de la Terre à Plélan-le-Grand, Nicolas prend conscience que ce qu’il veut ce n’est pas être paysan à plein temps sur une ferme mais artisan associé.
En toute sobriété
Et ça tombe bien, parce que c’est justement à cette période qu’Olivier cherche lui aussi à s’associer, pour partager le travail, mais surtout pour mettre en commun les savoir-faire. Les deux fromagers s’engagent ensemble dans un projet renouvelé. Deux ans auront été nécessaires pour imaginer un atelier de transformation du lait adapté à leurs besoins, conforme aux normes sanitaires et aussi économe en énergie.
Car comme le souligne Olivier « produire du fromage, c’est une grosse consommation d’eau et d’énergie : de l’eau chaude pour le nettoyage, de l’énergie pour les chambres froides, les caves, les machines. Avec le chauffe-eau solaire, l’isolation et la ventilation double-flux on économise déjà pas mal d’énergie ». Objectif suivant : couvrir la toiture de panneaux photovoltaïques pour aller vers l’autonomie énergétique. Sacré challenge ! Ce qui guide les deux artisans, c’est la perspective d’une production durable, inscrite dans un monde qui est en train de changer de manière accélérée. Démarche qu’ils résument en une phrase : « On essaye de réfléchir à comment produire du fromage en 2050 ».
Expérimentations fromagères
Produire du fromage, c’est bien la raison d’être de la Germillotte. Ou plutôt pourrait-on dire créer ? Ils ont un côté artistes, Olivier et Nicolas. Ils testent des choses. Tout comme Olivier a commencé par des interprétations locales du Morbier, du Saint-Nectaire ou du Reblochon, ils travaillent dans une perpétuelle recherche de saveurs nouvelles ancrées sur le terroir qui est le leur.
C’est aussi par ce prisme du territoire que les embûches ont pu être surmontées : interdiction de mettre une ligne de charbon dans un fromage qui n’est pas AOP Morbier ? Qu’à cela ne tienne, remplaçons une ligne de charbon par deux lignes de spiruline ! Si l’idée est fine, il aura quand même fallu expérimenter un peu pour que la spiruline, qui amène de surcroît des nutriments et une jolie couleur, n’apporte pas trop son goût prononcé au détriment de celui du fromage.
Justement, c’est aussi cela, l’expérimentation, qui intéresse les fromagers de la Germillotte. À l’image de cette commande d’un restaurateur rennais qui souhaite cuisiner du halloumi local. Le halloumi est un fromage de Chypre qui a la particularité de ne pas fondre à la cuisson. Alors il a fallu tester. Exit le lait de vache : avec ce lait trop gras, cela ne fonctionne pas. Alors on prendra du lait de chèvre, que l’on fera cailler, puis cuire dans le lactosérum. Le voilà le petit secret du fromage qui grille sans fondre ! Quant au lactosérum, co-produit du fromage, il ira nourrir les cochons de la ferme Pradenn à quelques kilomètres.
Question terroir, on zone autour de l’Ille-et-Vilaine. Après avoir testé de petits fromages frais de vache aux algues qui n’ont pas trouvé grâce au contact des papilles connaisseuses, opération camembert. Sans affront aucun à nos voisins normands, le « camembert » de la Germillotte sera fabriqué à partir de lait de brebis et de chèvre. Et si la tentative de fabriquer une ricotta s’est avérée bien trop énergivore pour les artisans soucieux de l’environnement, ils concèdent simplement que « ce qui est intéressant, c’est d’essayer ».
Chardon !
Et il y a une chose qu’ils ont essayé, et adopté depuis bien longtemps. Une petite particularité qui fait de leur méthode une production quasi unique dans le bassin rennais, voire en Bretagne, c’est l’utilisation d’une présure végétale.
« Pendant un an j’ai fait du fromage avec présure animale. Et puis j’ai découvert la présure végétale. Ça me plaisait de mettre une macération de fleurs. C’est aussi ça qui a matché avec Scarabée »
La présure, c’est le coagulant avec lequel on ensemence le lait pour le faire cailler. Habituellement, on emploie de la présure animale, une enzyme issue de la panse de veau. Si cela pose question en termes de bien-être animal, cela exclut aussi de fait les personnes au régime végétarien strict de pouvoir consommer du fromage. Il existe une autre présure, bien moins répandue en France, mais utilisée traditionnellement en Espagne ou au Portugal.
C’est chardus floratus, la présure végétale à base de chardon. Celle qu’utilisent Olivier et Nicolas. Cette macération de fleurs de chardon, en plus d’être végétale, a aussi un avantage très intéressant : celui d’accélérer la maturation des fromages, donc l’affinage. Lorsque l’on sait que les fromages bio locaux sont produits en petite quantité et que les mangeurs de fromages bio locaux sont de plus en plus nombreux, on se dit qu’un fromage affiné rapidement permet aux amatrices et amateurs de combler leur appétit de fromage bio de qualité tout en restant sur du circuit court.
Bio fromages en circuit court
Aujourd’hui, les deux artisans transforment chaque mois 10 000 litres de lait qu’ils brassent à la main dans leur cuve en cuivre. Du bon lait cru, gras et riche en protéines, produit par les vaches, chèvres et brebis des éleveuses et éleveurs de Brécé, Saint-Aubin du Cormier, Montreuil-sur-Ille, Feins, L’Hermitage ou Mouazé. Des bêtes qui vivent dehors, mangent de l’herbe et du foin et sont traites une fois par jour pour offrir un lait plus riche. « On sélectionne les élevages sur la qualité du lait, autrement dit sur la qualité de l’alimentation des bêtes » confient les fromagers.
« Ce qui est important c’est de valoriser le travail des éleveurs, la qualité de leurs produits. Et de les payer mieux que la laiterie. »
Petits fromages frais, fromages à pâte pressée cuite ou non cuite, à croûte lavée, tommes natures ou aromatisées au fenugrec ou au poivre… la douzaine de variétés de fromages artisanaux choyés par Olivier et Nicolas iront garnir les étals de magasins de produits fermiers, les paniers des amap, les marchés en ville ou à la ferme, les assiettes de la guinguette de La Basse Cour ou des enfants des écoles et bien sûr les magasins Scarabée !