L’agro-industrie a bien compris tout l’intérêt qu’elle pourrait tirer de la création de nouveaux labels, ou perçus comme tels. Adroitement
ficelés, visuellement bien conçus, ils peuvent semer le doute dans l’esprit du consommateur. Ainsi, aux côtés des sigles historiques parmi lesquels il n’est pas toujours facile de se repérer, ont fleuri, ces dernières années, de nouveaux venus aux vertus plus ou moins « écolos », dont l’intitulé et le logo sont destinés à endormir la vigilance. Ayez confiannnnnce.
« Sans résidus de pesticides », « Agriculture raisonnée », « Haute Valeur Environnementale »… Ces labels en sont-ils vraiment ?
Sans résidu de pesticides
Le Heurte, chargé de mission « Bio et agricole » au sein de la Coopérative Biocoop. La mention « Sans résidu de pesticides », par exemple, est une marque, imaginée par un groupe d’acteurs du secteur des fruits et légumes. Ils ont créé un joli pictogramme et font vérifier leur promesse par un organisme externe. Mais c’est avant tout du marketing imaginé pour se positionner par rapport au monde de la bio. Certes, on ne trouve pas de résidus de pesticides sur les fruits et légumes vendus, mais rien ne dit qu’ils n’ont pas été utilisés à un moment ou à un autre de la culture, suffisamment tôt pour leur laisser le temps de disparaître, ou choisis parce qu’ils laissent peu de traces. Ce n’est pas ça, l’esprit de la Bio ».
Agriculture raisonnée
« Agriculture raisonnée » n’est pas non plus un label, c’est un concept. Le terme n’est plus utilisé depuis une dizaine d’années, mais il reste imprimé dans les esprits. « Toutes ces assertions entendent se positionner par rapport à la référence Bio, poursuit Serge Le Heurte.
Le succès technique (60.000 producteurs en France, 13% des agriculteurs et 10% des surfaces) et commercial (belle visibilité dans les points de ventes) place la Bio en position de repère. Quand elle représentait 1% du marché, elle n’intéressait personne. Maintenant, tout le monde veut se situer par rapport au curseur bio. D’où la création de marques issues de regroupements d’intérêts privés qui s’adossent les compétences de professionnels du marketing pour s’assurer une bonne visibilité. »
Dans les années 80 observe un abus dans l’utilisation des produits phytosanitaires. Doses non respectées, épandages «préventifs », cumuls des traitements… Craignant de se faire épingler au motif de mauvaises pratiques, le monde agricole conventionnel imagine le terme d’Agriculture Raisonnée. Mais être «raisonnable » dans ses pratiques, qu’est ce que ça induit ? Pas grand chose de concret. C’est aussi à cette période que l’on entend « La bonne dose au bon moment ». On parle ici de fertilisants et de traitements chimiques sur les cultures. Là encore, le flou demeure. Bref, la mise en place d’un label autour du terme d’Agriculture Raisonnée est vite abandonnée, d’autant qu’il ne rencontre qu’une adhésion mitigée chez les professionnels. Seules 1.500 fermes y adhèrent et aucune diminution de l’utilisation des commandes de produits phytosanitaires n’est observée.
Label HVE
En 2012, l’Agriculture raisonnée laisse donc la place au fameux HVE. Sur le plan symbolique, « Haute » « Valeur » « Environnementale », c’est adroit. Ça claque.
Malgré ces grands mots, la «valeur» n’est pas au rendez-vous et l’environnement n’en sort pas forcément gagnant. C’est ce que souligne l’Office Français de la Biodiversité dans une note remise fin 2020 au Ministère de l’Agriculture et de la Transition écologique : « Le label HVE ne présente, dans la grande majorité des cas, aucun bénéfice environnemental ».
Nettement moins exigeante que le label bio, la mention HVE, en effet, embarque large : 80% des exploitants peuvent y prétendre sans modifier leurs habitudes. Pourquoi ? Parce qu’elle vient simplement se positionner aux côtés des usages préexistants, y compris les mauvais. Elle pointe essentiellement les bonnes pratiques destinées à lutter contre la perte de la biodiversité. D’un côté, on met donc en place des réalisations vertueuses (fossés, cours d’eau, prairies, jachères, mares, murets, ruches, bandes tampons, diversité des cultures, etc.) censées compenser des pratiques plus discutables. De l’autre… on ne change rien. « Aujourd’hui, HVE c’est, en fait, la norme de l’agriculture utilisant des engrais de synthèses, insecticides et autres fongicides interdits en agriculture biologique. Ni plus ni moins», commentent les acteurs du secteur de la Bio qui n’y voient qu’un joli coup de peinture verte.
Pas de HVE chez Biocoop
Biocoop vient de trancher. Le label HVE deviendra persona non grata dans les magasins de la Coopérative à partir de janvier 2023. Cette récente résolution, votée en Assemblée Générale à une très large majorité par les sociétaires Biocoop, met fin à toute l’ambigüité d’un acronyme qui divise effectivement depuis sa création. La confédération paysanne parle « d’illusion écologique ». Alors, le HVE : instrument de transition vers l’agro-écologie ou outil de greenwashing ? À Biocoop, on juge qu’elle reste, en l’état, trop peu contraignante, incluant des préconisations qui relèvent tout simplement de pratiques agricoles conventionnelles. Certains producteurs certifiés ont pu l’obtenir sans bouleverser de manière importante leurs anciennes pratiques : on a ici affaire avec un nouveau référentiel qui se maintient trop souvent dans une logique intensive et peine à se passer des intrants de synthèse.
Dans la PAC ?
Biocoop partage, par ailleurs, les inquiétudes de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) qui s’étonne de l’intégration du label français HVE dans la liste de ceux susceptibles de recevoir des aides environnementales de la PAC (Politique Agricole Commune européenne) au même titre que les labels bio reconnus. La FNAB demande que les aides environnementales de la PAC soient attribuées en fonction « des bénéfices environnementaux réels et prouvés des pratiques agricoles ».*
Zéro pesticides & co
Par ailleurs, de plus en plus de marques apposent sur leurs fruits et légumes des allégations suggérant qu’il est possible de préserver sa santé tout en payant moins cher que les produits bio du rayon d’à côté. Face aux assertions « Sans résidu de pesticides », « Zéro pesticides », « Collectif les Nouveaux Champs », « La Nouvelle agriculture », « Producteurs engagés », « Produit responsable », ou le dessin d’une rondelette coccinelle… la méfiance est, là encore, de mise. Ces logos/labels/marques témoignent, malgré tout, d’une volonté d’entamer un premier pas sur la route des pratiques exigées par l’agriculture biologique. On pourrait y voir une sorte de chainon manquant entre l’agriculture conventionnelle et biologique, une incitation à faire une (première) partie du chemin. Mais ne l’oublions pas, seule l’agriculture biologique coche toutes les cases : pas d’utilisation d’engrais ou de traitement de synthèse, non recours aux OGM, rotation des cultures, recours aux engrais verts et légumineuses, semences bio et adaptées au terroir, accès des animaux au plein air, alimentation bio, recours aux médecines naturelles, limitation des additifs dans les recettes des produits transformés…
Il est important de tout mettre en oeuvre pour valoriser le travail accompli par le monde de la Bio, s’en prévaloir et stimuler son développement. Les bienfaits d’une telle démarche pour la santé humaine, la durabilité alimentaire et la sauvegarde de la planète ne sont plus à démontrer.
Zoom sur…
HVE : le label Haute Valeur Environnementale « Haute Valeur Environnementale » est une certification qui existe depuis 2012 et qui vise à « encourager des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement ». Le HVE s’intéresse aux zones naturelles répertoriées sur l’ensemble d’une exploitation agricole s’inspirant du modèle de l’agro-écologie. Quatre domaines sont particulièrement observés : la biodiversité (haies, bosquets…), la stratégie phytosanitaire, la gestion de la fertilisation et l’irrigation.
Les filières végétales -dont le secteur viticole, très largement majoritaire parmi les exploitations certifiées HVE et animales qui peuvent y prétendre, apposent un logo sur leur produit, accompagné de la mention: « Issu d’une exploitation de Haute Valeur Environnementale ». Oui mais… Nombreux sont les acteurs du secteurs à estimer que cette certification environnementale n’incite pas réellement les agriculteurs à faire évoluer leurs pratiques. Le cahier des charges impose, par exemple, que les achats d’intrants ne dépassent pas 30% du chiffre d’affaires de l’exploitation. Chiffre rarement atteint par les filières à forte valeur ajoutée, comme les exploitations viticoles, qui restent sous la barre des 15%. Or, elles représentent plus de 80% des exploitations labellisées HVE. Idem pour le maraichage, pour qui ce critère est peu discriminant puisque le poste « intrants » représente en moyenne 26% de leur chiffre d’affaires. Il suffit souvent, pour l’obtenir, de pointer des initiatives vertueuses et rapportant des « points » du côté des «infrastructures agroécologiques » pour compenser d’autres pratiques comme le recours à des OGM ou l’emploi de produits phytosanitaires interdits dans la filière Bio.
L’agriculture raisonnée
Le terme d’Agriculture raisonnée, est officiellement né en 2002 pour s’achever avec l’avènement de son successeur, le label « HVE », en 2012. L’agriculture raisonnée prévoyait « la mise en place d’un ensemble de démarches globales de gestion d’exploitation visant à renforcer les impacts positifs des pratiques agricoles sur l’environnement et à réduire les effets négatifs, sans toutefois remettre en cause la rentabilité économique ». Y étaient suggérés : la rotation annuelle des cultures, la polyculture, le compostage et la maitrise des intrants, sans être plus contraignante que cela. Elle a été souvent qualifiée de greenwashing de l’agriculture intensive.
On reproche à cette appellation, et à ses petites consoeurs, de mettre en avant des pratiques s’appuyant sur des règles et des impératifs de sécurité alimentaire des produits agricoles qui figurent, ni plus ni moins, dans la législation française. Et s’appliquent donc… à tous. En effet, pas moins de quarante des exigences pointées dans le référentiel de l’agriculture dite raisonnée relèvent d’obligations de nature législatives ou réglementaires nationales voire européennes. Aujourd’hui, le terme d’Agriculture raisonnée n’a -officiellement- plus lieu d’être, mais il reste très présent dans l’esprit des consommateurs.
Et dans les cantines ?
Depuis le 1er janvier dernier, la Loi Egalim (pour États Généraux de l’ALIMentation) impose aux cantines françaises un approvisionnement qui comprenne 50% de denrées « sous signe de qualité ou d’origine » (AOP, AOC, Label Rouge…) dont 20% de Bio. « Pour l’instant, au niveau national, la moyenne des produits bio utilisés dans les cantines est de 5%, commente Pauline Cros, chargée de mission restauration collective bio et locale. Chez AgroBio35, nous voulons accompagner cette démarche vers des 20% de produits bio dans les cantines. Nous verrons ensuite comment augmenter le pourcentage. Nous sommes privilégiés en Bretagne avec une production locale riche et diversifiée en fruits et légumes, viande, pain, produits laitiers. On propose notre expertise aux cantines qui font appel à nous : diagnostic, tests, mise en relation avec les producteurs, en veillant à expliquer aux uns et autres les contraintes de chacun : régularité, délais de livraison, tarifs… Nous intervenons en tant qu’intermédiaires ». Il faut savoir qu’à l’heure actuelle il n’existe ni moyen de contrôle ni sanctions prévues. Juste un site «macantine.gouv.fr » sur lequel les responsables de la restauration collective et les élus locaux sont libres de communiquer autour de leurs pratiques. Ou pas.
* le Ministère de l’Agriculutre a tranché en juillet dernier, le bio recevra 30€ d’aides supplémentaires à l’hectare dans le cadre de la PAC dès 2023. Notons que globalement, les aides de la PAC en faveur du bio ont baissées de 46% depuis 2019. (LaTribune.fr, 4 juillet 2022)
Les valeurs Biocoop : un cahier des charges exigeant
Pour rappel, chez Biocoop, le cahier des charges exige du Bio, mais pas que. Biocoop va plus loin et (s’)impose des règles plus strictes que le cahier des charges de la Bio. Chez Biocoop, on privilégie, à produit équivalent, celui dont l’origine est la plus proche géographiquement : France, puis Europe et seulement après dans le reste du monde. On favorise les producteurs locaux et on leur demande de faire de même. On favorise largement le commerce équitable (25% des produits distribués). On dispose dans nos étals des produits 100% de saison : inutile d’y chercher des tomates en hiver. Sans oublier les petits « plus » Biocoop… On limite les agents de texture ou les additifs, on veille à ce que les arômes soient bio, on réduit les déchets, on pratique des prix justes et transparents, on s’assure du bien-être animal… ET pour manger bio sans se ruiner, quelques astuces de bon sens, souvent rappelées, mais ça va mieux en le disant : acheter des produits locaux et de saison, consommer moins de produits animaux en privilégiant les protéines végétales, acheter en vrac, cuisiner, s’organiser pour moins gaspiller…
Lire aussi, notre précédent article : »
Introduire le label HVE dans la PAC est contraire au droit européen »
Pour aller plus loin :
– « Label HVE, greenwashing de l’agriculture intensive ? » par UFC Que Choisir
Cet article t’a plu ? Si tu souhaites suivre notre actualité chaque mois avec une actu sur la vie de la coop, un engagement Biocoop et son application à Scarabée regardés à la loupe, et l’agenda des dates à retenir