C’est par un jour gris et pluvieux comme sait en faire le mois de février que nous sommes allés rencontrer Marion et Pierre à Guipry-Messac, maraîcher.es sur la Ferme des 5 sens. Une ferme qui produit du pain et des légumes de saison et surtout qui met l’humain et la coopération au cœur.
La Ferme des 5 sens, c’est un peu une histoire de copains. Des copains qui se sont rencontrés sur les bancs de la fac, mention gestion des entreprises de l’économie sociale et solidaire, et qui ont longtemps refait le monde avant de passer à l’acte. « Et puis on s’est dit qu’il fallait se retrousser les manches et pas le faire juste à l’apéro » plaisante Pierre. Enfin il ne plaisante pas vraiment. Car ils l’ont fait. Pierre, Marion, Tamara, Marie et Mickaël se forment cinq ans sur le terrain avant de choisir de s’implanter en Bretagne. Certain.es sont boulanger.es, l’une est savonnière, Marion et Pierre s’installent en maraîchage. Ils créent les Primeurs des 5 sens, qui comme son nom l’indique propose dans nos magasins les légumes primeurs que vous aurez plaisir à déguster dès le mois d’avril.
La terre est notre bien commun
L’esprit collectif règne partout dans la ferme. Et même depuis sa naissance. Car si les copains de fac ont pu reprendre cette ancienne ferme pédagogique, c’est qu’ils et elles ont su mobiliser autour d’eux. Les voisin.es, les ami.es, les ami.es des voisin.es et les voisin.es des ami.es. C’est en rassemblant plus de 230 citoyennes et citoyens soucieux de rendre à la terre sa vocation nourricière et de contribuer à un projet agricole qui a du sens, qu’ils ont pu redonner un souffle à cette petite exploitation agricole.
« Notre idée, c’était de rendre à la terre sa vocation nourricière »
L’avantage de rassembler tout ce petit monde au sein d’une SCI [société civile immobilière] propriétaire des terres ? La ferme n’est pas la propriété d’une personne unique mais un bien commun aux 230 associé.es. C’est surtout toute une communauté qui s’engage à ce que cette ferme reste en agriculture biologique et garde sa vocation nourricière, à petite échelle. Si nous empruntons la terre aux générations futures, cette idée de propriété communalisée a aussi pour objectif de rendre un jour la transmission plus fluide.
C’est ainsi que depuis 2015, les maraîcher.es, les paysan.nes boulanger.es et la savonnière (partie depuis peu vers d’autres aventures) partagent un hangar spacieux et polyvalent de 1200 mètres carré, mutualisent un tracteur et des outils d’entretien des machines. Partagent du temps aussi, le jeudi par exemple, en déjeunant tous ensemble autour de la pizza fraîchement préparée par la boulange. L’occasion aussi pour l’équipe au complet de s’organiser sur la mutualisation du matériel, ou des livraisons à Scarabée dont les Primeurs des 5 sens sont également sociétaires.
Une question d’équilibre
Revenons à nos carottes. Si Marion et Pierre ont choisi de se spécialiser dans les légumes primeurs, c’est peut-être pour une question de goût. C’est aussi pour une question d’équilibre collectif. Un peu snobés par les autres producteurs locaux dont le temps est accaparé par d’autres cultures, les légumes primeurs sont pourtant prisés des consommatrices et consommateurs. Ils sont frais, ils montrent leurs feuilles – qui peuvent aussi être dégustées – et surtout ils annoncent l’arrivée du printemps !
Mais si pour les amateurs de légumes frais, le printemps est synonyme de légèreté, pour les maraîchers c’est surtout synonyme de travail. Comme le dit Pierre, « le printemps, c’est saison compte triple : il faut planter les légumes d’été, récolter les légumes de printemps et implanter les légumes d’automne et d’hiver. Tout se passe au printemps. Il y a une saisonnalité extrême ». Appétit des gourmand.es de légumes d’un côté, manque de temps de la part des maraîcher.es locaux de l’autre, il y avait là une place à occuper, une mission à accomplir. Marion et Pierre s’en charge.
Dans les serres aujourd’hui, on trouve des oignons et de l’ail, des carottes et des salades, et bientôt les navets et les pommes de terre. Il leur faudra du temps encore pour arriver à maturité, car l’hiver est plus lent pour nourrir les plantes. Mais vu le soin que mettent Marion et Pierre à désherber et irriguer si besoin, on vous promet de belles surprises en forme de bottes toutes fraîches pour le mois d’avril.
Sol vivant en plein champ
Passé le printemps, chez les Primeurs des 5 sens, on transitionne en plein champ. Car si les serres limitent le vent et le froid et permettent d’allonger les saisons en proposant des légumes bottes dès le mois d’avril, le plein champ est moins exigeant. La terre est fertile, l’eau arrive tout droit du ciel, et éventuellement du système d’irrigation qui redistribue l’eau de pluie collectée – voire de la nappe, en dernier recours, au plus chaud de l’été. Sur les 4,5 hectares de champs qu’ils cultivent, Marion et Pierre font pousser des carottes et des courges, des épinards, du fenouil, et sous serre des patates douces et même des pastèques !
Il faut dire que si le plein champ est généreux, c’est qu’ici on travaille avec des prairies temporaires. Comprendre que les parcelles sont exploitées une année sur trois. Entre chaque culture, les champs deviennent des prairies, accueillent toute une biodiversité, les sols sont vivants et l’engrais vert y pousse naturellement. Quel luxe ! Et même si Marion et Pierre ont renoncé au projet d’accueillir quelques ruminants pour nourrir la terre, les haies plantées à leur arrivée et les arbres de hautes tiges sont un repère pour la faune qui y trouve logis et couvert. « Quand on a des buses dit encore Pierre, on se dit qu’on a bien fait notre boulot de paysan ». Protéger la biodiversité, on est bien d’accord, c’est aussi le rôle des agricultrices et agriculteurs.
Circuit court du champ à l’assiette
Avec leurs quinze légumes produits toute l’année, les Primeurs des 5 sens travaillent en circuit court, en faisant de la vente directe. En coopération avec d’autres maraîchères et maraîchers, ils approvisionnent des magasins de producteurs et des points de dépôt de vente en ligne de produits bio locaux. Car se charger de la commercialisation, cela apporte une certaine indépendance. « On est à 2/3 temps producteurs et à 1/3 temps commerçants » résume Pierre. Et cela, la relation commerciale, mais surtout humaine, c’est précieux. Cela participe à l’ancrage territorial, cela donne du sens au travail de la terre, à la mission nourricière qu’ils se sont donnée.
« Avec Scarabée, nous avons des liens avec les personnes en magasin, il y a de vrais échanges. »
Travailler avec Scarabée participe de cette logique. Avec Lucie, la référente fruits et légumes de Scarabée, ils contribuent à la planification, échangeant sur la disponibilité, les volumes et les productions de légumes afin qu’un maximum de produits locaux arrive chaque jour dans les magasins. Une politique appréciée des producteurs et productrices locaux, « remarquable » dit même Pierre (comment ne pas rougir), pour le plus grand plaisir gustatif des consomm’actrices et des consomm’acteurs. Et ça n’est pas près de s’arrêter.