Suite du dossier « prix » publié sur ce site et dans La Feuille de janvier-février. Après un entretien avec Arnaud Daligault, maraîcher et président d’Agrobio 35, et Hughes Van Kriekinge, référent fruits et légumes à Biocoop Scarabée, c’est au tour de Kevin Franger, Mickaël Couedic et Frédéric Leprêtre, référents ultra-frais, boucherie, et commerce magasins, de nous expliquer comment ils construisent leurs prix.
« On n’a pas de « prix engagés » sur nos rayons boucherie, mais on peut dire qu’ils sont tous engagés ! ». Mickaël Couedic, référent boucherie, nous explique comment il essaie, au quotidien, de trouver un ajustement entre prix juste pour ses fournisseurs, accessible pour les clients, en respectant la problématique d’équilibre-matière, garante de la survie des paysans.
As-tu un objectif de marge à atteindre sur les rayons boucherie ?
A aujourd’hui c’est disparate, selon les magasins, leur taille. C’est plus un service proposé à la clientèle, un service qui n’est pas forcément à but lucratif, mais qui crée du lien, qui fidélise. Si nous ne proposions pas ce rayon, on perdrait sans doute une partie de notre clientèle, qui irait chercher cette offre ailleurs. Les rayons boucherie, c’est aussi un peu le GPS, le « Grand Plan de Scarabée » ; les clients s’adressent facilement à nous lorsqu’ils cherchent quelque chose !
Quelles sont tes priorités, en termes de prix ?
La volaille est chère en bio. Parce que le coût de l’aliment est deux fois plus élevé qu’en conventionnel. C’est dû aux méthodes d’élevage aussi : il faut plus de bâtiment, plus d’espaces en bio.
Un bœuf, un agneau, un veau, ne nécessitent pas d’alimentation extérieure, ils se nourrissent dans le pré, la différence avec le conventionnel est donc moins impactante sur le prix final.
Sur une marge brute à 31% sur le secteur boucherie, on est à environ 22-23% sur la volaille, pour pouvoir la rendre accessible. Je fais, ensuite, de la compensation de marge, répartie sur l’ensemble de la gamme proposée en rayon.
Les poulets entiers sont tous en local dans nos rayons.
J’aime bien dire qu’on ne fait pas supporter notre incompétence aux éleveurs… Certains magasins de producteurs ne facturent que les poulets vendus. Ils en commandent 30, en vendent 20, les 10 restant retournent à l’éleveur qui doit se débrouiller avec. Nous : on assume nos commandes. Ça a un impact sur le prix, qui doit intégrer les pertes. Il y a des weekends où on va tout vendre, d’autres pas.
Sur l’agneau, nous sommes à 30% de marge brute, si je vends mon agneau dans son intégralité, sans pertes et sans promo, ce qui n’arrive jamais, concrètement. On est donc plus, dans la réalité, à 26-27% de marge brute.
On se différencie aussi du conventionnel car on fait 90% de nos achats en carcasses entières, par opposition au conventionnel qui fait surtout du « catégoriel ». Nous : on achète des demi-bêtes, ou bêtes entières, pour l’agneau. Et on fait le vrai job de boucher, en prenant en compte l’équilibre-matière.
Tu peux nous dire un mot sur cette question d’équilibre matière ?
Si on ne fait pas d’équilibre matière : c’est la mort des paysans. Si, un jour, on n’achète à un éleveur que des côtes de bœuf : qu’est-ce qu’il fait du reste ? Il le jette ? Cette question d’équilibre matière parle des revenus des paysans, mais aussi de gaspillage alimentaire.
Quand on fait du catégoriel : je fais le point chaque vendredi avec mon fournisseur (Montfort Viande, dans le Morbihan) sur ses surstocks, principalement sur les cuisses de bœuf. Ce fournisseur approvisionne déjà le réseau Biocoop en steacks hachés, qui sont fabriqués avec les avants des bœufs ; restent les cuisses, qu’il y a un intérêt à acheter, toujours dans cette logique d’équilibre matière.
Les prix dans nos magasins sont-ils plus chers qu’ailleurs ?
Mes prix de vente sont le reflet des prix dans le bassin rennais. Je fais des relevés de prix en GMS, et en boucheries traditionnelles. Je fais une moyenne. Sauf que tous les autres sont sur des marges plus hautes. Si j’appliquais bêtement un coefficient de marge sans me préoccuper de ce qui se passe autour… nos prix seraient beaucoup plus élevés ; or le but est de rendre la boucherie en bio accessible à tous, tout en payant un prix juste à nos fournisseurs.
Nous ne pouvons pas faire d’économies d’échelle comme en GMS, car nos volumes d’achat sont comparables à ceux d’une boucherie traditionnelle. D’ailleurs : on travaille comme en boucherie traditionnelle.
Quelle est la proportion du local, dans les rayons boucherie ?
78% des produits proposés dans nos rayons boucherie sont en local. Les 22% restant, ce sont des produits secs, comme le lomo, le jambon de Parme, des spécialités qu’on ne peut pas trouver en local et la découpe de volaille, qui est seulement à une vingtaine de kilomètres hors zone locale, c’est à dire à plus de 150 km, au nord Vendée.
Il y a une grande diversité de prix selon les catégories de morceaux sur une même bête ? Tu peux nous en parler ?
Il y a un grand impact de l’offre et la demande. Par exemple : tout le monde veut du filet mignon, mais sur une carcasse de porc de 120 kg, il y a 1.2 kg de filet mignon soit environ 1% du poids de carcasse.
Nous pourrions tout à fait racheter des filets mignons en catégoriel, mais on retrouve la problématique de l’équilibre matière évoquée plus haut.
Sur chaque animal, nous retrouvons les mêmes problématiques, chaque prix est donc un savant mélange d’offre, de demande, de rentabilité et d’accessibilité.
Le filet de poulet, au détail, c’est environ 34,95 €, alors qu’un poulet entier, on le vend environ 13,40 € le kg. Sur demande de nos clients, on le détaille gratuitement. C’est moins cher pour les clients, et, de notre côté, on n’a pas à gérer l’équilibre matière. Il ne nous reste pas la carcasse et les ailes sur les bras.
Je ne veux pas que le client se dise qu’à Scarabée c’est plus cher. Je ne veux pas qu’il se sente lésé.
Comment se passe les négociations de prix avec les fournisseurs locaux ?
Il n’y a pas de rapport de force, de pression. Je fonctionne en confiance. Je pars de mon prix de vente, je calcule ma marge, j’ai mon « seuil ». Je demande au fournisseur de faire son coût de fabrique. Et on se rapproche. Chacun y trouve son compte sans abus d’un côté ou de l’autre.
On les dépanne également, on ne les laisse pas dans la panade. S’ils ont trop de poulets, par exemple : on les prend. Exemple : un de nos fournisseurs locaux travaille avec la restauration collective ; il s’est retrouvé avec des poulets sur les bras, à cause du COVID. On les a pris, on a fait le maximum pour les vendre, afin d’aider ce fournisseur ; et on y est arrivé.
On n’a pas de « prix engagés » sur nos rayons boucherie, mais on peut dire qu’ils sont tous engagés !
On ne vend pas des biscottes. Parfois, on reçoit des animaux musclés, d’autres le sont moins. On doit valoriser des produits qui ne seront jamais standardisés.
Ch€re bio, chap.2 – Boulangerie : où va le blé ?